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Comment l'affaire Navalny complique les relations UE-Russie

«Un pour tous et tous pour un», peut-on lire sur cette pancarte lors d'une manifestation pro-Navalny à Moscou le 23 janvier. «Un pour tous et tous pour un», peut-on lire sur cette pancarte lors d'une manifestation pro-Navalny à Moscou le 23 janvier. [Kirill KUDRYAVTSEV / AFP]

Déjà marquées par de nombreux différends, les relations entre l'Union européenne et la Russie connaissent un nouvel épisode de crise, causé par l'affaire Navalny. Un dossier explosif qui est au centre de la visite du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell à Moscou, qui rencontre ce vendredi le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov.

Depuis l'arrestation de l'opposant russe Alexeï Navalny à son retour d'Allemagne le 17 janvier, cinq mois après son empoisonnement, les Européens ne cessent de rappeler à la Russie ses obligations en matière de droits et de libertés : demandes de libération du militant anti-corruption, condamné à deux ans et demi de prison mardi, répression des manifestations pro-Navalny pointée du doigt... Sans effet sur l'attitude du pouvoir russe, qui dénonce même une «ingérence» dans ses affaires intérieures.

Malgré cette fin de non-recevoir, l'UE a décidé de maintenir la visite en Russie de son haut représentant pour les affaires étrangères, Josep Borrell, arrivé sur le sol russe jeudi soir et qui doit y rester deux jours. Les Vingt-Sept ont chargé l'Espagnol de «faire passer un message clair sur la position de l'UE sur les droits et les libertés». Le chef de la diplomatie européenne a même fait part de son souhait de rencontrer Alexeï Navalny en personne, une requête refusée par Moscou.

Sans véritable espoir de faire plier la Russie sur le cas Navalny lors de cette visite, l'UE compte surtout sur Josep Borrell pour reprendre contact avec la Russie, trois ans après le dernier déplacement officiel d'un haut responsable de l'Union au pays des tsars, et pour sonder la volonté de coopération du régime. Et ce, dans le but de préparer le sommet européen consacré à la relation avec la Russie, fin mars.

Vers de nouvelles sanctions ?

Cette réunion des chefs d'Etat devrait se pencher sur de possibles sanctions supplémentaires contre Moscou, dont plusieurs personnalités de premier plan ont déjà été sanctionnées en octobre dernier suite à l'empoisonnement d'Alexeï Navalny, qui porte le sceau de Vladimir Poutine selon l'opposant. Mais les Vingt-Sept sont divisés sur cette question. Si la Pologne et les Etats baltes réclament de nouvelles mesures punitives depuis l'arrestation de l'ancien avocat de 44 ans mi-janvier, d'autres sont plus réticents, comme l'Italie, la Grèce, la Hongrie ou l'Autriche. La France et l'Allemagne sont dans une position intermédiaire, n'excluant pas de nouvelles sanctions mais ne semblant pas très pressées.

«Des sanctions ont déjà été prises, on pourrait en prendre d’autres, mais il faut être lucide, ça ne suffit pas», a déclaré le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes Clément Beaune sur France Inter lundi. Dans un entretien avec l'Atlantic Council publié hier, Emmanuel Macron défend d'ailleurs la politique de «réengagement» entre l'UE et la Russie qu'il promeut depuis le début de son quinquennat. Car, explique-t-il, «il est impossible d'avoir la paix et la prospérité en Europe, en particulier à nos frontières, si nous ne sommes pas en situation de négocier avec la Russie».

Pour faire pression sur le Kremlin, la France veut se servir du dossier Nord Stream 2, un gazoduc reliant la Russie à l'Allemagne, dont elle réclame la suspension des travaux. Elle est suivie par le Parlement européen et les Etats-Unis, mais pas par la principale intéressée, l'Allemagne, attachée à ce projet.

Le sommet européen de fin mars s'annonce donc tendu, entre les pro et les anti-sanctions. A la fin, les premiers devraient l'emporter, selon Galia Ackerman, historienne spécialiste de la Russie. «L'affaire Navalny va sans doute provoquer un nouveau tour de vis dans les sanctions. La question est seulement de savoir si elles seront importantes ou non», assure-t-elle, ajoutant que les Etats-Unis préparent eux aussi des sanctions.

Des domaines de coopération possibles

Mais certains s'interrogent sur l'efficacité et l'utilité de telles mesures, rappelant que l'UE impose des sanctions contre la Russie depuis 2014 et l'annexion de la Crimée, sans véritable effet. Ce n'est pas l'avis de Galia Ackerman, qui affirme que, bien choisies, elles peuvent faire mal à Vladimir Poutine. «Là où elles sont efficaces, c'est quand elles sont dirigées vers l'entourage de Poutine et les dignitaires du régime. Derrière ces sanctions, il y a l'idée de retourner les oligarques contre le président russe, dans l'espoir de créer une révolution de palais», explique la chercheuse franco-russe.

Tout en maniant le bâton, l'UE reste dans une volonté d'ouverture avec la Russie. «Au-delà des questions litigieuses, il y a aussi des domaines dans lesquels l'UE et la Russie coopèrent, ou doivent coopérer davantage», a souligné Josep Borrell dans un communiqué publié la semaine dernière. Des sujets détaillés par le haut représentant européen dans une tribune parue sur le site du Journal du dimanche ce jeudi : nucléaire iranien, coronavirus, lutte contre le réchauffement climatique ou encore sécurité numérique.

Un «dialogue sélectif» qui ne doit pas faire perdre de vue, selon Galia Ackerman, l'intérêt premier des Européens : «un changement de régime en Russie», qui a montré d'après elle «une capacité de répression similaire à la Biélorussie ou au Venezuela», le tout sans «jamais reconnaître ses torts sur aucun dossier, que ce soit par exemple sur la guerre du Donbass ou le crash du vol MH370 de la Malaysia Airlines (en mars 2014, NDLR)». Une attitude «qui corrompt l'espace européen», juge-t-elle. En attendant, Vladimir Poutine peut profiter d'un succès scientifique et politique non négligeable, avec le vaccin russe Spoutnik V, dont la France, l'Allemagne et l'Espagne se sont dits intéressées.

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