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Claire Bourhis-Mariotti : «Un an après la mort de George Floyd, il n'y a pas eu de changement radical aux Etats-Unis»

Un an après, la mort de George Floyd est encore dans toutes les têtes Un an après, la mort de George Floyd est encore dans toutes les têtes[Kerem Yucel / AFP]

Les images ont glacé le sang du monde entier. La mort de George Floyd il y a un an, le 25 mai 2020, a entraîné une forte mobilisation contre la brutalité policière et pour l'égalité raciale aux Etats-Unis. Mais douze mois plus tard, les changements promis peinent à se concrétiser, d'après Claire Bourhis-Mariotti, maître de conférences en histoire africaine américaine à l’université Paris 8.

Un an après, est-ce que l’on peut dire que la mort de George Floyd marque un vrai tournant dans l’histoire américaine récente ?

C’est un tournant mais les effets ont été de courte durée. Il y a eu une prise de conscience nationale et internationale concernant la persistance des problèmes de discrimination raciale. Il y a eu ce moment, pendant lequel on a eu l’impression que la société américaine s'était rendu compte de la situation et pendant lequel les Blancs ont réfléchi à leur part de responsabilité. Un moment spécial qui a déclenché une réflexion sur le système de justice pénal américain mais aussi sur le racisme systémique.

Depuis, on peut dire que la situation s’est tassée. Il y a eu des bonnes intentions de la part des personnalités politiques ainsi que le procès de Derek Chauvin. Mais depuis qu’il a été reconnu coupable, on a l’impression qu'une partie de la population considère que la question est réglée et que sa condamnation est la preuve que, finalement, le système fonctionne. 

Sa condamnation n'est-elle pas historique pour autant ? Les policiers sont régulièrement innocentés dans ces cas de violences policières. 

En moyenne, on compte 1.000 personnes tuées par an de violences policières dans le pays. Il y a environ deux fois et demi plus de Noirs que de Blancs qui en sont victimes. Environ 10% des policiers responsables sont inculpés, et sur ceux-ci, seulement 35% sont finalement condamnés, et en général à des peines de prison courtes. Cela fait peu. Le verdict de Derek Chauvin n’a pas éliminé soudainement le racisme ou le fait que les policiers restent rarement punis. Il va y avoir un effet déceptif puisque malgré tout, il y a toujours autant de violence et peu de condamnations. De plus, les Noirs américains sont toujours surreprésentés dans la population carcérale, la population pauvre, ou ceux qui ont le plus souffert du Covid.

Joe Biden a été élu en grande partie grâce à sa proximité avec les communautés noires américaines, il a choisi Kamala Harris comme vice-présidente, mais est-ce qu'il répond aux attentes sur ce dossier ? 

Les sondages montrent que les Noirs américains soutiennent massivement Joe Biden dans sa façon de gérer les questions raciales. Il est donc toujours soutenu par la population noire. De plus, il a nommé comme procureur général - l'équivalent de notre ministre de la Justice - le juge Merrick Garland. Celui-ci a souligné son engagement à lutter contre le racisme dans les services de police et a admis que le système judiciaire n’est pas équitable. Donc il y a eu des déclarations d'intention, mais à ce jour, il n'y a pas encore eu de grandes évolutions. 

La gauche du parti démocrate et certaines personnalités comme Colin Kaepernick appellent à l’abolition de la police pour reconstruire le système. Est-ce que ce genre de demande à une chance d’aboutir ? 

C’est difficile à dire. Les polices aux Etats-Unis sont locales, contrairement à la France. Il faut donc réformer au niveau local et cela prend du temps. Le New York Times a révélé qu'une trentaine d'Etats ont passé 140 lois ces 12 derniers mois pour réformer leur système, mais que les textes sont souvent bloqués par les républicains. Sur ce point aussi, il y a eu peu de changements.

Dans un certain nombre d’endroits, il y a eu une redirection des allocations destinées à la police vers d’autres programmes notamment sociaux. Il y a eu une réduction du nombre de policiers, mais je ne pense pas que l’on va repartir de zéro. D'ailleurs ces idées ne sont pas forcément très populaires. Les Américains soutiennent encore massivement leur système de police

Outre les administrations américaines, les entreprises ont également promis beaucoup dans la foulée de la mort de George Floyd pour favoriser l'égalité raciale. Est-ce qu'elles ont tenu parole ?

Il y a beaucoup d’observateurs aux Etats-Unis qui dénoncent des éléments de communication. On a vu une forte augmentation des postes de «directeur de la diversité» pour s’assurer que l'égalité est respectée, mais surtout dans les grosses entreprises. Outre cela, dans les faits, il n’y a pas eu de changement radical.

Cela ressemble beaucoup à l'Affirmative Action, lorsque des quotas ont été mis en place dans les entreprises et les universités dans les années 1970, après la série de lois sur les droits civiques passées dans les années 1960. Mais cela n’a jamais véritablement marché, parce que les Noirs voulaient être recrutés pour leurs compétences, et non pas pour leur couleur de peau. C’est un petit peu la même idée, et je ne crois pas que cela puisse marcher. En vérité, un an après, il n’y a pas eu de changement radical. Pour régler ce problème de discrimination raciale, il faut s’attaquer aux racines du mal, à savoir les inégalités socio-économiques. Il faut injecter des fonds dans les politiques sociales ou éducatives, ou encore réduire la circulation des armes à feu pour faire baisser la violence. 

 

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