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«Les talibans pourraient bien être imbattables», craint le journaliste Aziz Fard

Alors que les talibans étaient presque arrivés aux portes de Kaboul, ce vendredi 13 août, continuant leur implacable progression en Afghanistan, le journaliste Aziz Fard, spécialiste de l’Asie centrale, a livré son analyse en répondant aux questions d'Harold Hyman, journaliste-expert des questions internationales de CNEWS.

Au moment où le régime est plus que jamais aux abois, et que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni sont sur le point d'évacuer en catastrophe leurs ressortissants et diplomates, Aziz Fard explique notamment que de profonds facteurs illustrent aussi ce succès extrêmement rapide des talibans.

Mais plus fondamentalement encore, selon le journaliste, l’Afghanistan lui-même, ne serait pas un état viable.

Qui sont les talibans ?

Nous avons tendance à imaginer les talibans en terroristes uniquement. Sauf qu'ils sont trop nombreux pour être simplement des terroristes. D'après mes observations, ils sont plusieurs millions, ce qui veut dire que les talibans représentent un mouvement de résistance, certes funeste, mais un mouvement de résistance tout-de-même. Cela est inquiétant.

Mais ce qui est plus préoccupant encore, c'est la petite part de talibanisme qui peut exister au fond de chaque Afghan, voire de chaque musulman. S'ajoute à cette crainte les mécontentements, et le risque que le mouvement des talibans puisse fusionner avec les Afghans «ordinaires». L'hypothèse qui veut que les talibans parviennent à rallier la population à leur cause est d'autant plus crédible que beaucoup d'Afghans sont contre le gouvernement actuel. Et si cette hypothèse venait à se concrétiser, les talibans pourraient bien être inarrêtables, imbattables.

Les avancées talibanes sont-elles réversibles, selon vous ?

Ils n'ont pas encore gagné. Fara, une ville de l'ouest du pays, située entre Hérat et Kandahar, n'est pas forcément tombé. Kunduz, qui est passé sous les talibans, est souvent tombé pour être repris plusieurs fois. Mais tant que Kaboul, la capitale, n'est pas encore tombée, la partie n'est pas jouée.

Certes, si Herat est pris, Kandahar le sera. Alors Kaboul sera assiégé. A ce moment-là, les Américains et ce qui reste du gouvernement pourra tenter de faire une espèce d'enclave.

Diriez-vous que l'Afghanistan est un Etat-nation viable ?

De tous les pays de la région d'Asie centrale, et depuis presque trois siècles, l'Afghanistan est le plus mal loti pour des raisons historiques complexes. En marge de l'empire perse, la zone n'a jamais été bien organisée.

L'Afghanistan «moderne», depuis qu'il existe, n'a jamais pu se stabiliser. La petite ville de Ghazni est tombée aux mains des talibans, or il y a eu un empire ghaznévide, qui a même tenté d'envahir l'Inde. D'une certaine manière, tout est du bricolage dans ces parcelles d'empire.

Pensez-vous que la composition ethnique du pays rend l'unité impossible ?

L'Afghanistan, en tant que pays, s'est constitué sous la domination des Pachtounes, qui ont toujours voulu dominer les persanophones du nord et de l'ouest. En Afghanistan, les Pachtounes constituent l'ethnie la plus nombreuse, mais loin d'atteindre la majorité absolue.

L'identité de l'Afghanistan est pachtoune, et les Pachtounes veulent imprimer leur identité sur les Tadjiks (persanophones) et les Hazaras (chiites aux traits physiques asiatiques) ainsi que sur les Ouzbeks. Et pour aggraver la situation, il y a à la frontière afghane des Etats tels que l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Pakistan avec sa minorité pachtoune.

Ces Etats ont des minorités ethniques plus faibles en nombre, mais les problèmes d'injustice, d'inégalités et de répression que subissent ces minorités sont les mêmes, et donc ils peuvent subir des effets collatéraux de type afghan. En définitive, l'Afghanistan n'a jamais été «un vrai pays».

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