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«Jôhatsu» : quel est ce phénomène derrière la disparition de plus de 100.000 personnes par an au Japon ?

Pourtant, certaines familles ne peuvent se résoudre à cette décision et décident de rechercher leurs disparus. [Pexels / Matt Hardy]

Alors que la France enregistre environ 2.500 disparitions volontaires par an, ce sont plus de 100.000 Japonais qui choisissent de tout abandonner derrière eux. Quel est donc ce phénomène du «jôhatsu», ou «évaporation», auquel ont recours de milliers de personnes en quête de liberté ?

N'avez-vous jamais rêvé de tout quitter, de disparaître sans laisser de trace ? Bien que la plupart des personnes n'osent pas franchir le pas par crainte ou par manque de moyens financiers et logistiques, des milliers de Japonais choisissent chaque année de s'évanouir dans la nature, afin de recommencer une nouvelle vie, loin de tout.

Apparu dans les années 1960, le terme «jôhatsu» désignait initialement les personnes qui préféraient fuir plutôt que d'affronter une procédure de divorce officielle pour échapper à des mariages arrangés, ce qui évitait ainsi le déshonneur familial.

Toutefois, cette tendance s'est particulièrement intensifiée dans les années 1990, en raison de la crise économique, provoquant des milliers de licenciements et plongeant de nombreux Japonais dans l'endettement. 

Si certains ont mis fin à leur vie, d’autres ont décidé de simplement disparaître pour échapper à la pression sociale, dans une société où perdre son emploi est perçu comme une honte.

Au fil des années, le «jôhatsu» s'est imposé comme une issue pour fuir tout type de problèmes, à l'instar de la dépression, des addictions, de la violence conjugale, des difficultés financières, des pressions sociales ou du monde du travail, des contraintes quotidiennes, des sectes religieuses, de l'échec scolaire, etc.

Une économie parallèle 

Alors que certains décident de se volatiliser sur un coup de tête, d'autres préparent méticuleusement leur fuite, en faisant notamment appel à des entreprises spécialisées, appelées «yonige-ya» ou «déménageurs de nuit».

Pour un tarif pouvant atteindre un million de yens (environ 6.000 euros), en fonction des biens, de la distance, de la présence d'enfants, etc., ces sociétés s'occupent du déménagement, du transport, de l'hébergement, du changement d'identité, mais aussi du soutien émotionnel face aux conséquences de la décision de leurs clients. 

Les moins fortunés, eux, peuvent recourir à des guides appelés «L'évaporation parfaite : reprenez votre vie à zéro» ou «Le manuel complet de la disparition», qui proposent des conseils pratiques pour un jôhatsu «réussi». 

La disparition volontaire est totalement légale tant qu'elle n'enfreint pas la loi, comme dans les cas de fraude, d'enlèvement de mineurs ou de non-respect d'ordonnances judiciaires. Dans le cas contraire, des frais additionnels peuvent s'ajouter en guise de prime de risques.

Par ailleurs, la législation sur la protection de la vie privée donne les moyens aux «jôhatsu» de rester introuvables. En effet, la plupart des affaires sont civiles et les données personnelles peu accessibles. En l'absence de soupçon de crime ou d'accident, la police mène rarement une enquête pour retrouver un adulte qui semble avoir disparu volontairement.

Après sept ans de disparition, une personne est officiellement considérée comme étant «absente», dissolvant son mariage et ouvrant sa succession. 

En cavale, la vie est marquée par l'anonymat et la prudence. Les disparus séjournent généralement dans des quartiers pauvres, au sein de grandes villes, tels que San'ya, à Tokyo et Kamagasaki à Osaka, où ils peuvent (sur)vivre et travailler clandestinement.

Bien que l'anonymat leur permette de se libérer des pressions sociales, ils sont, pour la plupart, condamnés à la solitude, paralysés par la peur d'être retrouvés, jugés ou humiliés. Cette vulnérabilité en fait des cibles privilégiées pour les réseaux criminels, notamment les yakuzas, qui les exploitent pour les trafics humains ou des activités illégales. 

L'espoir des familles

Le gouvernement japonais ferme également les yeux sur ces disparitions parce que les reconnaître signifierait admettre les défaillances de cette culture, privilégiant le conformisme et l'harmonie sociale. De plus, paradoxalement, ces «invisibles» contribuent à l'économie nationale, certains acceptants des travaux dangereux afin de survivre, comme nettoyer les sites radioactifs après la catastrophe de Fukushima en 2011. 

Pourtant, certaines familles ne peuvent se résoudre à cette décision et décident de rechercher leurs disparus. Pour ce faire, elles se tournent notamment vers des détectives privés spécialisés, dont certains proposent leurs services bénévolement, souvent parce qu'ils ont eux-mêmes vécu des cas de ce type dans leur entourage.

Bien que fondus dans la masse des mégapoles, plusieurs d'entre eux sont finalement localisés, mais refusent de renouer avec ceux qu'ils ont abandonnés en raison d'un profond sentiment de honte.

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