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Rentrée littéraire 2022 : nos 6 romans coups de cœur

Parmi les quelque 500 romans qui fleurissent dans les rayons à l’occasion de la rentrée littéraire, certains ont particulièrement retenu notre attention. Voici 6 ouvrages à se procurer de toute urgence.

«Arpenter la nuit», de Leila Mottley

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©Albin Michel

Un livre coup de poing. Au rayon des premiers romans, on ne saurait que trop vous recommander «Arpenter la nuit», de la très prometteuse Leila Mottley. L’écrivaine américaine, qui a commencé l’écriture de cet ouvrage à l’âge de 17 ans, embarque le lecteur dans les bas-fonds d’Oakland, en Californie.

Là-bas, Kiara, une afro-américaine mineure, vit avec son frère aîné Marcus. Depuis que leur père est décédé et que leur mère est en prison, ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Alors que Marcus ne pense qu'à percer dans le rap, l’adolescente peine à trouver un travail pour payer les factures, et avoir un toit sur la tête.

Pour s’en sortir, Kiara décide alors de vendre son corps et tombe dans l'engrenage de la prostitution. Plutôt que de la protéger, des policiers participent à son exploitation sexuelle, et précipitent sa descente aux enfers, où, malgré tout, elle reste capable d’aimer et de profiter des rares petits bonheurs de la vie.

Inspiré d'un scandale survenu en 2015 à Oakland, ce livre percutant et engagé, écrit à la première personne, fait partie de ceux auxquels on repense une fois refermés. A travers ce premier roman, Leila Mottley rend hommage à la résilience et à la force des femmes victimes de violence aux Etats-Unis, et particulièrement celles de couleur, le tout, en s’armant d’une plume saisissante, poétique et d’une grande maturité.

«Arpenter la nuit«, Leila Mottley, éd. Albin Michel.

«Dessous les roses», d’Olivier Adam 

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©Flammarion

Dans «Dessous les roses» (éd. Flammarion), Olivier Adam renoue avec plusieurs de ses sujets de prédilection dont le deuil, le 7e art et la famille. Découpé en trois actes à la manière d’une pièce de théâtre, avec une unité de lieu et de temps, son nouvel opus met en scène deux frères et une sœur qui se comparent, se jalousent, et se redécouvrent. Il y a Antoine, le cadet, Claire, infirmière et mère de deux enfants, et enfin Paul, un réalisateur et dramaturge qui s'est finalement décidé à les rejoindre dans la maison familiale, où les attend leur mère, désormais veuve.

Ils se sont retrouvés dans ce pavillon pour l’enterrement de leur père. Ces tristes retrouvailles font rapidement remonter les souvenirs, puis les regrets, les rancœurs et donnent lieu à des règlements de comptes, car dessous les roses, se trouvent les épines, et la tristesse du moment n’y change rien. Tous reprochent à Paul de piller l'histoire familiale et de rependre des mensonges sur celle-ci à travers ses films.

Mais qui détient le véritable récit ? Et d’ailleurs, n'existe-t-il qu’une seule histoire ? Alors que chacun des membres prend la parole pour raconter sa version, le lecteur se demande : qui faut-il croire ? Dans ce huis clos captivant, Olivier Adam s'attache à montrer la difficulté de rester unis à l'âge adulte au sein d'une famille, et d’accepter que l’autre prenne un chemin différent. Rythmé, sensible et réaliste, cet ouvrage polyphonique, qui questionne avec habileté la complexité des liens fraternels, se lit d’une traite.

«Dessous les roses», d'Olivier Adam, éd. Flammarion.

«La vie clandestine», de Monica Sabolo

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©Gallimard

«La vie clandestine» dont il est question dans le nouveau roman de Monica Sabolo est avant tout la sienne, et celle de son père, Yves S., en charge d’affaires occultes durant l’enfance de la romancière, et qui a disparu sans dire un mot.

A cette histoire familiale, se mêle celle de deux femmes, Nathalie Ménigon, 29 ans, et Joëlle Aubron, 27 ans, membres du groupe terroriste d’extrême gauche Action directe dans les années 1980, qui ont abattu de sang-froid à Paris le PDG de Renault, Georges Besse, à quelques mètres de son domicile. Mais comment peut-on commettre un tel acte ? Que cherchaient-elles ?

Monica Sabolo cherche des réponses sur cette affaire, racontée non sans une touche d’humour, et prend conscience que, de manière mystérieuse, elle résonne avec son vécu. «Je ne savais pas encore que les années Action Directe étaient faites de ce qui me constitue : le secret, le silence et l'écho de la violence», écrit-elle. A travers ce jeu de miroirs, elle se confronte alors à ses souvenirs, à son enfance bourgeoise, ses origines, qui ne sont pas celles qu’elle croyait.

Elle aborde aussi frontalement l’inceste qu’elle a subi, après avoir évoqué ce traumatisme en quelques mots dans «Tout cela n'a rien à voir avec moi». Via cet ouvrage, entre enquête et autobiographie, l’auteure se livre sans fard et règle ses comptes avec son passé, en explorant la violence collective et personnelle, la question de la responsabilité, du pardon, et plus généralement, tente de percer la complexité des êtres. Dense et explicite, «La vie clandestine», septième roman de l’auteure, ne peut pas laisser indifférent.

«La vie clandestine», de Monica Sabolo, éd. Gallimard.

«Les liens artificiels», de Nathan Devers

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©Albin Michel

Écrivain agrégé de philosophie, Nathan Devers publie «Les Liens artificiels» (éd. Albin Michel), un brillant roman dans l’ère du temps qui interroge l’impact du virtuel et l’omniprésence des écrans. Écrit pendant le confinement, ce livre à dimension philosophique suit Julien Libérat, un professeur de piano et admirateur de Gainsbourg, qui n’a pas la vie dont il rêvait.

Jusqu’au jour où ce musicien raté de Rungis, désormais célibataire, découvre l'Antimonde, un univers virtuel en 3D où tous les déçus du réel existent à travers leur avatar, et au sein duquel tout est possible. Dans ce métavers grandeur nature, créé par le milliardaire prophétique Adrien Sterner, l’autre personnage principal de l’ouvrage, Julien devient alors Vangel, et goûte enfin au succès, à la richesse. Mais il va s’y noyer, à l’image de Narcisse. Et le destin de cet anti-héros, on le connaît dès les premières pages.

Nathan Devers, qui confronte deux trajectoires, celle d’un winner et d’un looser, d’un consommateur et d’un créateur, signe un récit réaliste et dystopique, ponctué de moments très drôles. Ancien élève de l’École normale supérieure, l’auteur décrit les dérives d’un monde où on est ensemble et séparés, qui n’arrive plus à créer de liens avec autrui. Il raconte le mal du siècle d’une génération, «une génération qui se connecte à tout, excepté à la vie», le tout, en donnant une place importante, et bienvenue, à la poésie.

«Les liens artificiels», Nathan Devers, éd. Albin Michel.  

«Sa préférée», de Sarah Jollien-Fardel

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©Sabine Wespieser

Avec «Sa préféré» (éd. Sabine Wespieser), Sarah Jollien-Fardel, prix du roman Fnac 2022, signe un premier roman intense et déchirant. Avec une plume acérée, l’auteure raconte l’histoire de trois femmes, une mère et deux filles, victimes de la violence physique et verbale d'un homme, d’un père. Située dans un village haut perché des montagnes valaisannes, en Suisse, la maison d’enfance de la narratrice Jeanne, est habitée par la peur, les pleurs, et les cris. Et les scènes de terreur se répètent.

Après sa journée sur les routes, son père rentre à la maison, alcoolisé, et tout le monde retient son souffle. Car à tout moment, et pour rien, un clou de girofle de trop, une feuille de laurier trop dure, ou une carotte trop cuite, il peut exploser. Jeanne grandit auprès de sa sœur Emma, la «préférée» du père, et de sa mère en essayant d’anticiper les accès de colère de son père.

Grâce à ses études, la jeune fille devenue majeure parviendra à fuir le foyer familial. Mais comment peut-elle trouver la paix avec un tel sentiment de culpabilité et un passé qui lui saute sans cesse à la gorge ? Maîtrisé de bout en bout, ce roman, qui dit le poids du passé et la difficile émancipation après une enfance gâchée, nous happe littéralement.

«Sa préférée», Sarah Jollien-Fardel, éd. Sabine Wespieser.

«Chien 51», de Laurent GaudÉ

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© Actes Sud

Le temps où la littérature de genre, la Fantasy et la science-fiction avant tout, était considérée comme une distraction de seconde zone, à peine portée par quelques grands noms, est désormais révolu. Avec son nouveau roman Chien 51, paru chez Actes Sud, le prix Goncourt 2004 (Le soleil des Scorta) Laurent Gaudé en apporte une preuve supplémentaire. Première incursion pour ce féru de théâtre dans le roman d’anticipation, son récit plonge le lecteur dans un futur qu’on devine proche, alors que la planète est désormais sous la coupe de consortiums surpuissants qui se partagent les nations en faillite comme on se jette sur une proie affaiblie.

Un symbole, c’est sur le lieu de naissance de la démocratie, dans sa Grèce natale, que le héros Zem Sparak va expérimenter la violence et l’oppression de ces corporations devenues plus puissantes que les Etats. Sous ses yeux, Athènes se transformera en bain de sang à l’heure de son rachat par l’une d’entre elles, Goldtex. Désormais exilé dans une cité tentaculaire baptisée Magnapole, divisée en 3 zones imperméables reproduisant les inégalités, Zem Sparak n’a plus que ses séances sous hypnose chimique pour se rappeler aux bons souvenirs du pays de sa jeunesse. Vivotant entre quatre murs bardés d’une technologie aussi inutile qu’oppressante, ce policier déclassé est désormais le «chien 51», limier de la Zone 3 de la ville chargé de faire la jonction entre les forces de l’ordre et le bas peuple qui tente de survivre, entre pluies acides, chaleur écrasante et trafics en tous genres.

Quand il va être appelé à collaborer avec Salia Malberg, inspectrice de la zone 2, pour enquêter sur un corps découpé et abandonné, ses idéaux de justice et de liberté trop longtemps enfouis vont refaire surface. Pourquoi ce cadavre a-t-il été dépecé de ses implants technologiques, rarissimes et capables de prolonger la vie ? Pourquoi l’élite de la zone 1 voit d’un mauvais œil ce tandem travailler main dans la main ?

Pour son premier roman noir d’anticipation, Laurent Gaudé coche touts les cases du genre : critique sociale, vision d’un futur déjà à l’œuvre actuellement, technologie moins libératrice qu’il n’y parait, et héros écorchés et attachants. Avec ses phrases courtes qui poussent le lecteur à dévorer le livre, l’auteur nous plonge dans une ambiance proche de Blade Runner et son univers usé, individualiste, corrompu et saturé de mensonges. Un solide récit qui se lit d’une traite, et ou l’intérêt de l’intrigue le cède à celui du contexte. Mêlant habilement ce qui est et ce qui va arriver, il dresse un constat glaçant de l’avenir de nos sociétés, dont certains rouages néfastes sont déjà à l’œuvre.

«Chien 51», Laurent Gaudé, Ed. Actes Sud

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