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Le webtoon «Colossale» s'offre une édition BD pour fêter son succès

Avec plus de 6 millions de lectures sur la plate-forme Webtoon, «Colossale» est l'un des plus gros succès en matière de BD numériques françaises ces dernières années. Une performance qui permet à ses deux autrices, Rutile et Diane Truc, de s'offrir une version physique de leur BD, attendue chez les libraires ce 19 janvier. CNEWS les a rencontrées.

Une femme qui exhibe ses biceps et qui assume totalement sa passion pour la musculation. Voici en substance ce qui résume Colossale, mais pas que... Car le succès mérité de cette BD sur la plate-forme Webtoon recèle de nombreuses subitilités pour offrir un récit dans l'ère du temps, où la romance et le féminisme ne sont pas deux mots antinomiques.

Surtout, Colossale est le bébé de deux autrices : Rutile et Diane Truc. Deux femmes pleine de ressources qui ont du s'emparer d'un média, la BD sur smartphone, pour imposer leur talent. Plus de 6 millions de vues sur Webtoon en attestent.

Un succès qui a poussé les éditions Jungle à publier la version BD sur papier de ce récit musclé. On y découvre le destin de Jade, une jeune aristocrate lasse de son milieu social, dont la seule ambition est de se construire un corps de culturiste. Une passion qui l'amènera à se dépasser mais aussi à écraser les clichés tout en faisant fit du qu'en-dira-t-on. CNEWS a pu rencontrer la scénariste Rutile et la dessinatrice Diane Truc pour la sortie de cette bande-dessinée, qui recèle de nombreuses surprises.

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Diane Truc : «Rutile m'a d'abord stalkée sur TumblR !»

Rutile : «En effet, j'adore ses dessins qui contiennent à peu près tout ce que j'aime. Elle a un encrage hyper maîtrisé, sa stylisation est chouette. Avec une influence manga mais aussi du célèbre magazine Pilote. Elle maîtrise la BD. C'est un petit génie de la narration».

Diane Truc : «Nous nous sommes rencontrées en 2016. J'étais en 3e année de l'école des Gobelins [NDLR : école des métiers l'image]. On a donc essayer de lancer divers projets. Mais il est très compliqué d'entrer dans l'édition française.»

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© Jungle/Webtoon

Rutile : «J'avais déjà des contacts pour des projets plus adultes. Je voulais privilégier la narration. On avait entendu parler d'un premier concours avec Dailytoon en 2016. Cela n'a rien donné mais ça nous a permis de nous frotter au format.»

Diane Truc : «Ensuite, un premier concours Webtoon a été lancé en 2020. Et j'étais à l'époque dans un studio d'animation et on m'avait proposé d'y participer. J'avais alors produit de petits épisodes et nous les avons envoyés. On a remporté la catégorie humour du concours de Webtoon.»

Rutile : «On a joué d'une énorme chance, puis la série a commencé à être publiée à partir de décembre 2020. On n'avait que 5 épisodes d'avances, or il fallait fournir la suite avec un rythme hebdomadaire. Et on était tout de suite en flux tendu ! Mais les confinements de l'époque ont grandement facilité les choses car nous avons pu travailler à distance sans problème.»

Quel est votre rapport à la BD ?

Diane Truc : «Mon père avait une énorme bibliothèque de BD, avec du Gotlib, du Franquin, des revues comme Coyote et Pilote. Pour moi Gotlib est même l'artiste le plus influent avec Hiromu Arakawa, l'autrice de Fullmetal Alchemist. J'ai découvert les mangas dès le primaire, avec Dragon Ball, Akira... J'ai pratiquement toujours suivi un cursus artistique durant mes études depuis le lycée.»

Rutile : «De mon côté, j'ai grandi à l'Île Maurice. J'avais de la chance car mes parents m'offraient des BD, avec des classiques comme Tintin, Astérix, mais aussi des Thorgal. Un jour mon frère est revenu de France avec un manga : Kenshin Le Vagabond. J'avais des a priori sur ce média. Mais j'ai bouffé toute la série des Kenshin en me disant que c'était la meilleure BD du monde. Puis quand je suis arrivée en France à mon tour, je me suis ouverte aux comics, avec notamment Watchmen. Ce fut un réel choc. Alan Moore m'a donné envie de devenir bédéaste, alors qu'avant je rêvais d'être comédienne.»

Qu'est-ce qui vous a attiré dans le Webtoon ?

Diane Truc : «Avant le processus de création, il y un processus de sélection qu'il faut avoir en tête puisque dans le Webtoon, 70 % des auteurs, mais aussi du lectorat sont des femmes. Contrairement à la BD Française qui est plutôt masculine.» 

Ici, ce sont les lecteurs qui votent et ce n'est pas le choix du seul éditeur.Rutile, scénariste de Colossale

Rutile : «Il y a un public sur le Webtoon qui offre un retour intéressant, puisqu'ici ce sont les lecteurs/lectrices qui votent et ce n'est pas le choix du seul éditeur. Si une histoire plaît à un public, les Coréens vont la mettre en avant pour toucher celui-ci.»

Diane Truc : «De plus sur Internet, le genre de l'auteur importe peu, puisque parfois on découvre une œuvre sans savoir si c'est le fait d'un homme ou d'une femme.»

Rutile : «Pour s'adresser à des femmes, il faut savoir aller vers elles mais aussi leur proposer autre chose. Nous voulions aller au-delà d'un sujet traité de manière trop superficiel. En outre, la BD papier s'est gentrifiée. Elle s'adresse à un public qui a les moyens d'investir dans des séries ou de beaux albums. De son côté, le Webtoon est plus accessible.»

Diane Truc : «Finalement, le webtoon est plus simple. La narration y est véhiculée par les personnages, l'important est de les placer et après ils vivent. Nous ne sommes pas là pour réaliser des décors détaillés comme dans la BD traditionnelle».

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Rutile : «Nous voulons une histoire que l'on peut faire vivre. Mais le fait de la lire sur un smartphone nous permet d'ajouter une temporalité supplémentaire qui est le scrolling, le fait de faire dérouler les images du haut vers le bas sur un smartphone. Un auteur de BD papier va devoir imaginer un moyen de diriger le regard du lecteur pour qu'il ne se perde pas. Dans le cas d'un écran, le scrolling bosse pour nous certes, mais il faut être vigilant en gardant à l'esprit qu'une image en amène une autre. Et il faut conserver l'idée d'une fluidité. Il y a donc de nouveaux codes et un nouveau public. Il y a encore beaucoup à faire et à imaginer.»

Avec le webtoon, il y a de nouveaux codes et un nouveau public.Rutile, scénariste de Colossale

«J'attends encore ce qui sera le Watchmen du webtoon, pas dans l'histoire mais dans la manière de casser les codes pour narrer quelque chose de propre au webtoon. Il faut encore arriver à convaincre au niveau de l'histoire. Bien sûr on ne renie pas du tout la BD papier. Il y a des choses extraordinaires que l'on peut faire avec. Le webtoon permet d'ajouter du dynamisme intéressant et une narration feuilletonnante s'y prête bien. En France, on a une tradition avec le roman feuilleton puisque les gens, au XIXe siècle, lisaient autant les aventures des Trois Mousquetaires que Germinal. Et ça passionnait les foules.»

Diane Truc : «Contrairement aux idées reçues, le format du webtoon n'est absolument pas étriqué. Bien au contraire. Dans une BD classique, on doit absolument gérer un nombre de cases sur une même page. Alors qu'ici, finalement, on se retrouve avec une bande verticale infinie sur laquelle on veut dérouler une histoire et créer des effets de surprises que j'adore.»

Le webtoon vous confronte aussi directement à votre public, puisque vous pouvez voir les réactions à chaque chapitre...

Diane Truc : «C'est un point important pour nous, car on peut observer directement comment les gens réagissent à notre histoire, avec des réactions en live. Nous n'avons toutefois pas voulu changer le récit en fonction de leur histoire.»

Rutile : «C'est une communauté à plus d'un titre, car beaucoup de gens nous disent : "on lit le chapitre mais aussi les commentaires des autres". Je trouve ça génial. Cela rajoute un plaisir de lecture en plus du chapitre.»

Comment travaillez-vous ?

Rutile : «Chaotiquement !»

Diane Truc : «Nous nous sommes d'abord réunies pour déterminer le "squelette" de Colossale. L'idée était d'avoir l'ossature de notre histoire. Mais lorsque nous avons commencé, nous n'avions que cinq épisodes d'avance, ce qui était en réalité très peu. Il a donc fallu travailler rapidement en flux tendu. Nous travaillions à distance la plupart du temps en raison des confinements liés au Covid. Mais nous nous retrouvions tous les 10 épisodes environ, afin d'orienter plus précisément notre travail.»

Rutile : «Nous établissions des arcs narratifs d'environ 10 épisodes. Nous déterminions une trame, avec des listes d'actions de nos personnages. Il fallait qu'on travaille extrêmement vite et je souhaitais laisser à Diane sa capacité à improviser et à créer des dialogues, d'où le fait qu'elle soit aussi co-scénariste. Il y avait ensuite un ping-pong entre nous pour revoir ou améliorer certains points.»

Diane Truc : «Finalement, c'était un travail qui s'étalait sur toute la semaine, du lundi au dimanche. Le lundi, nous déterminions le découpage du chapitre, le mercredi il fallait absolument que ce dernier soit fini et le clean (dessin final) commencé pour le finir le jeudi. Le vendredi, on passe à la coloristation et aux décors. Heureusement, ma sœur qui est aussi coloriste a pu travailler avec moi sur ce point. Le samedi, voire le dimanche j'envoyais ensuite le chapitre. C'était un voyage intense, mais quand même épuisant.» 

Comment voyez-vous Jade, l'héroïne de Colossale ?

Diane Truc : «Je voulais un récit qui se rapproche des shôjô (manga principalement à destination des filles), mais version webtoon. A l'époque, ça faisait un an que j'avais commencé la musculation et cela avait éveillé plein de questions sur le rapport à la féminité, au corps, mais aussi l'évolution mentale par l'évolution physique. Lorsqu'on lit un shôjô classique, on retrouve une héroïne qui a une passion et son milieu est souvent un obstacle à ce qu'elle aimerait faire. C'est pourquoi, on a placé Jade dans un milieu artistocratique, où les codes genrés sont les plus renforcés.»

Rutile : «Cela nous permet de développer un récit post-moderne, car nous amenons à réfléchir sur la romance. En outre, la plupart des webtoon coréens cultivent une idolâtrie des riches et des puissants, avec beaucoup de récit centrés sur des princes charmants, des princesses... Avec Colossale, nous voulions aller au fond des choses en partant du postulat que les classes sociales impactent les corps.»

Diane Truc : «Il est important de préciser que l'on ne parle pas de physique mais on parle de force».

Le webtoon n'a pas encore acquis ses lettres de noblesse en France et n'a pas encore de titre culte.Diane Truc, dessinatrice de Colossale

Maintenant que Colossale est terminé, à quels projets vous attelez-vous ?

Rutile : «Je vais devenir éditrice de webtoon sur la plate-forme du groupe Media-Participations [NDLR : Dargaud, Dupuis, Kana]. Cette première expérience avec Colossale me permet d'avoir une vision de la production de ce type de contenu. C'est un format qui me plaît mais je souhaite mettre en avant un webtoon français».

Diane Truc : «Le webtoon n'a pas encore acquis ses lettres de noblesse en France et n'a pas encore de titre culte.»

Rutile : «En effet, alors qu'en Corée c'est un média très plébiscité, avec une industrie multimillionnaire. Nous n'allons pas les concurrencer, mais nous souhaitons lancer un service plus qualitatif et une politique d'auteur, un point important que l'on a développé en France, notamment grâce à René Goscinny».

Colossale, de Rutile et Diane Truc, éd. Jungle, tome 1 disponible le 19 janvier et à découvrir sur la plate-forme Webtoon.

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