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Bruno Morel, d'Emmaüs Solidarité : «Nous essayons de tenir au maximum avec le coronavirus»

Bruno Morel est le directeur général d'Emmaüs Solidarité, structure d'aide aux sans-abris, en première ligne face au coronavirus. [CC / Emmaüs Solidarité].

Alors que l'épidémie de coronavirus continue de se répandre en France, les craintes autour des SDF et des plus précaires se multiplient. Et si les associations se démènent pour mettre à l'abri les plus fragiles, en première ligne face à la maladie, les difficultés sont chaque jour plus nombreuses, alerte Bruno Morel, directeur d'Emmaüs Solidarité. Entretien .

Bien qu’il n’ait pas prononcé le mot, Emmanuel Macron a annoncé, lundi 16 mars au soir, une période de confinement de quinze jours minimum. Comment cela va-t-il se traduire dans l’action des acteurs de terrain dans l’aide à apporter aux SDF ? 

Ce que je peux vous dire c’est qu’à l’heure actuelle, les associations continuent d’être pleinement mobilisées pour les personnes à la rue, qui sont en première ligne face au risque d’exposition au coronavirus. Et je tiens ici à saluer l’implication de tous les salariés et de tous les bénévoles.

Nos équipes peuvent continuer à avoir des déplacements professionnels. Elles continuent donc d'assurer les maraudes et d’accueillir les personnes sans domicile au sein de nos accueils de jour. Nous continuons, en somme et autant que faire se peut, notre activité.

Néanmoins, au vu du contexte actuel, et parce qu’il y a des fermetures d’écoles ou que parfois nos bénévoles ont des problèmes de santé, ou qu’ils sont un peu âgés donc plus à risque, certains d'entre eux doivent bien sûr rester chez eux. Mais nous faisons tout ce que nous pouvons pour continuer à être au plus près des personnes que nous suivons.

Une autre association, Utopia 56 a indiqué avoir été empêchée par la police d’installer des familles dans des tentes alors qu’aucune autre solution d'hébergement ne leur avait été proposée. Rencontrez-vous des difficultés dans la période actuelle ?

Ce que l’on constate c’est qu’il y a de plus en plus de fermetures d’accueils de jour. Et, de notre côté, nous essayons de tenir au maximum nos ouvertures pour aider les plus démunis. Concernant Emmaüs Solidarité, nous tournons aujourd’hui avec un salarié sur deux, donc forcément avec moins de moyens, ce qui nous oblige à alléger nos prises en charge.

Pour vous donner un exemple, sur un accueil de jour qui peut en temps normal admettre 200 personnes, nous sommes contraints de réduire au cas par cas la jauge, ne serait-ce que pour respecter la distance de sécurité d’un mètre.

Autre exemple : à l’heure actuelle, nous devons faire l’impasse sur certaines prestations. On continue donc d’appliquer les bons protocoles de nettoyage sur les lavabos ou les toilettes, mais on ne peut plus toujours le faire dans les douches, après chaque passage de personne.

Ceci dit, comme toutes les associations, nous veillons à rester en lien avec les services de l’Etat pour sans cesse rappeler que les personnes à la rue ne doivent pas être oubliées de la prise en charge. L’annonce du prolongement de la trêve hivernale et du dispositif d'hébergement hivernal allaient justement en ce sens et nous saluons cette décision.

D'autres annonces pourraient suivre. Que faudrait-il faire d’autre justement, selon vous ?

Concrètement, ce qu’il faudrait faire, c’est ouvrir des centres de desserrement, c'est-à-dire des structures où l'on pourrait isoler des personnes sans domicile infectées, mais dont l’état ne nécessiterait pas une hospitalisation. L’idée étant de les prendre en charge sur le plan sanitaire et limiter les risques d’infection dans nos propres centres. Le chiffre de huit centres de desserrement est évoqué. Ils constitueraient un dispositif adéquat pour accueillir des gens déjà fragilisés de par leur vécu dans la rue.

Un autre projet serait à l’étude par l’Etat et répondrait à une autre de nos demandes. Celui de mettre en place des équipes mobiles sanitaires puisque nous, concrètement, nous n’avons pas de personnel médical à notre disposition.

Je pense aussi, et je crois savoir que la mairie de Paris est en train de faire des propositions en ce sens, qu'il serait évidemment utile d’avoir des places d’hébergement supplémentaires, car les SDF - encore moins qu'avant - ne peuvent vraiment pas être à la rue en ce moment. Une autre piste serait ici de réquisitionner des gymnases.

Enfin, une autre demande serait de doter nos salariés des outils de protection en vigueur, comme les masques. C'est un sujet qui préoccupe beaucoup nos équipes. Bien sûr, nous comprenons parfaitement que les masques doivent être avant tout réservés aux personnes infectées et aux soignants, mais il nous semble logique que les personnels qui prennent en charge les SDF, et qui sont susceptibles d’être infectés, en soit également dotés. Je pense que ce serait un geste à faire et à même de les rassurer.

En dehors des masques, qui ont été réquisitionnés pour les personnels soignants, avez-vous des difficultés à obtenir du gel hydroalcoolique ?

Obtenir des gels est malheureusement compliqué pour tout le monde et donc pour nous. Les gels que nous avons, nous les réservons, pour le moment, aux seules maraudes parce qu’il y a bien sûr un vrai problème d’accès à l’eau en extérieur.

Et dans les centres d’hébergement, le principal geste va consister à se laver les mains attentivement avec du savon. Même si, bien sûr, nous mettons tout en œuvre pour obtenir plus de gel, des lingettes, et des masques donc. J’ajoute que nous aimerions également avoir accès à des thermomètres à distance, ce que nous n’arrivons pas à trouver en ce moment.

Faudrait-il réquisitionner des logements pour mettre les SDF et les migrants à la rue à l’abri ? Ou libérer des hôtels comme c’est déjà le cas pour les personnels soignants ?

Des réquisitions, je ne sais pas. Mais au vu des capacités hôtelières qui sont en train de se libérer, il est vrai que ce serait intéressant de pouvoir bénéficier de plus de places dans des hôtels. Et là, je pense plus particulièrement aux familles à la rue.

Cette solution permettrait de les mettre à l’abri le plus rapidement possible. C'est une bonne idée. Ce sont des sujets que nous évoquons avec le ministère du Logement et il faut effectivement, je pense, que nous y arrivions.

Concernant les recommandations des pouvoirs publics (distance d’un mètre, ne pas se faire la bise etc.), sont-elles facilement respectées sur le terrain ?

Nous faisons tout pour qu’elles le soient. Dès le 4 février, nous avons mis dans nos centres un affichage sur les recommandations sanitaires autour du Covid-19.

Il faut bien sûr encore parfois éduquer et pour ce faire, nous avons fait traduire les documents nécessaires en 16 langues. Et c’est tout le talent des équipes salariées et bénévoles qui arrivent à faire de la pédagogie en rappelant sans cesse les gestes barrières.

Que faites-vous si une personne a des symptômes ? Arrivez-vous à les faire dépister facilement ?

Dans la rue c’est évidemment plus compliqué et c’est pour cela qu’avoir des équipes mobiles sanitaires serait un gros plus.

En interne, nous travaillons également à la mise en place d’une permanence téléphonique de façon à assister nos équipes par l’intermédiaire d’un médecin bénévole qui peut intervenir chez nous et qui nous oriente sur la bonne marche à suivre, tout en répondant à toutes les questions.

De même, dans nos centres, nous avons fait en sorte d’aménager un lieu spécifique, de façon à pouvoir isoler une personne suspectée d’être contaminée.

Quand on voit que des personnalités, présentant parfois des symptômes mineurs, parviennent à se faire dépister, estimez-vous qu’il y a une forme de ségrégation sociale envers les plus démunis ?

Je dirais simplement qu’il ne faut surtout pas qu’on arrive à ça. Et c’est pour cela que nous sommes en lien direct avec les autorités.

Jusqu’à présent certains de nos messages ont été entendus et il faut veiller à ce qu’ils continuent de l’être. Les priorités sont innombrables dans la période actuelle mais il ne faut pas oublier les SDF.

A ce stade, je constate néanmoins que tout le monde essaye de réfléchir ensemble à des solutions même si le sujet est très compliqué.

Concernant le mal-logement, est-ce que l’épidémie en cours ne constitue pas aussi un révélateur du fait qu’il est urgent d’avoir des logements adaptés en nombre suffisant pour limiter les impacts d’une telle crise sanitaire ?

Tout à fait. Avec d’autres associations, nous étions encore, en janvier, à la présentation du 25e rapport annuel sur l'état du mal-logement en France de la Fondation Abbé-Pierre et il nous avait paru bien évidemment urgent de traiter la question des sans-abris ou du mal-logement dans son ensemble, c’est-à-dire pas seulement sous la pression de l’actualité ou en hiver. Il faut évidemment continuer les efforts de construction et, surtout bâtir des logements pour tous les publics, dont les plus fragiles.

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