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Confinement : le relâchement des comportements fait craindre un «jeudi noir» dans les hôpitaux

«Ce qu'on a constaté était désespérant [...] Quand on a vu les gens dans la rue on a compté les jours», a expliqué le docteur Lila Bouadma. [BERTRAND GUAY / AFP / Paris, le 05 avril 2020].

Après un week-end marqué par des températures quasi estivales où des centaines de Français ont fait fi du confinement, les soignants s'alarment d'un imminent regain d'afflux de patients dans les hôpitaux du pays. Suivant leurs prévisions, un bond des admissions pourrait avoir lieu dès ce jeudi 9 avril.

Un dangereux retour de flamme et un relâchement des comportements infernal pour l'hôpital.

Interrogée ce mardi 7 avril par franceinfo, Lila Bouadma, médecin, professeur de médecine et spécialiste en médecine interne et réanimation, sonne la charge et déplore la présence démesurée de personnes dans les rues le week-end dernier.

«Ce qu'on a constaté était désespérant [...] Quand on a vu les gens dans la rue on a compté les jours. Puisque le temps d'incubation est d'environ cinq jours, nous nous préparons à un jeudi noir», déclare cette professionnelle de santé pourtant aguerrie qui exerce à l'hôpital Bichat, à Paris, en plus de siéger au Conseil scientifique mis sur pied pour guider l'exécutif dans la crise.  

Un fléchissement comportemental d'autant plus désolant car, précise-t-elle, celui-ci s'est produit au moment même où l'hôpital public, en toute première ligne pour combattre le Covid-19, est confronté à un seuil plus que critique.

«Le ratio d'entrants et de sortants est toujours positif. Il y a toujours plus d'admissions que de sorties. Il nous paraît difficile de faire face à ce nouvel afflux de patients [...] Nous n'avons pas de traitement, il faut donc éviter de nouveaux patients», s'alarme-t-elle ainsi.

Avant elle, le professeur Jean-Français Delfraissy, figure historique de la lutte contre le sida en France, s'est lui aussi beaucoup inquiété d'un certain regain de désinvolture d'une partie de la population face au confinement.

Connu pour son pragmatisme et habituellement peu enclin à jouer les Cassandre, le président du Conseil scientifique n'a pourtant pas hésité à user de mots très forts, ce mardi, pour appeler les Français à se ressaisir.

Selon l'immunologiste, le non-respect du confinement est ainsi ni plus ni moins qu'une «forme de suicide collectif». En l'état, et comme sa consœur le professeur Bouadma, il appelle donc tout le monde à le poursuivre, cette mesure relevant, dit-il, «d'une responsabilité individuelle et collective».

Prévoyant «encore deux ou trois semaines très difficiles pour le système de soins», Jean-François Delfraissy prévient en outre que la fin du confinement n'est pas pour demain.  «Je pense qu'il vaut mieux le dire d'emblée maintenant. Il est trop tôt pour prévoir une date de sortie. Ça nous mène probablement jusqu'à début mai, je n'irai pas plus loin sur la précision parce que nous ne l'avons pas», a-t-il avancé.

Pandémie et système D

Reste que si en étant confinés les Français sauvent plus que jamais des vies, c'est aussi et surtout parce que cela permet de soulager des soignants qui manquent cruellement d'équipements et de traitements.

En dehors des services de réanimation, qui redoutent une pénurie de médicaments comme le curare utilisé pour intuber les patients, ce sont la plupart des équipements de protection, comme les masques, qui font également défaut.

Ces protections sont même parfois rationnées, malgré les dons des entreprises, voire des particuliers. Pour pallier le manque, les masques «faits maison» sont donc de plus en plus utilisés, faute de mieux, de même que les combinaisons de peinture qui viennent parfois remplacer les surblouses, ces tenues qui s’enfilent par-dessus la blouse des soignants.

Des aide-soignants aux médecins, en passant par les infirmiers, tous admettent que l'heure est aujourd'hui à l'urgence, mais beaucoup gardent à l'esprit que les problèmes qu'ils rencontrent aujourd'hui ne sont pas anciens et font écho aux revendications, qui, avant la crise, étaient martelées dans les rues pendant plus d'un an, lors d'une grève et de manifestations de défense en série de l'hôpital public.

Un mois seulement avant le début du confinement, le 14 février dernier, quinze syndicats et collectifs avaient encore invité les soignants, mais aussi les citoyens, à se mobiliser pour réclamer plus de lits, de personnels hospitaliers et des revalorisations salariales.

Malgré l'annonce de trois plans successifs pour l'hôpital, marqués par un déblocage de 300 millions d'euros ou la reprise d'un tiers de la dette hospitalière (10 milliards), le chantier, laissé à l'abandon depuis des dizaines d'années, reste colossal dénoncent beaucoup de blouses blanches.

En déplacement à Nancy le 25 mars dernier, Emmanuel Macron l'a lui-même reconnu en leur promettant un futur «plan massif d'investissement et de revalorisation», ainsi qu'une souveraineté retrouvée afin de ne plus dépendre de la Chine pour le matériel et les masques.

Alors qu'un «jeudi noir» est anticipé, le chef de l'Etat doit justement reprendre la parole le même jour pour vraisemblablement évoquer le confinement et la nécessité de s'y tenir. Au même moment, les soignants seront, eux, au front, mais après la bataille ils se rappelleront à son bon souvenir.

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