En direct
A suivre

Verdict du procès du 13-Novembre : «Soit vous vous laissez mourir, soit vous rebondissez et vous menez des combats, comme celui de la mémoire»

Patricia Correia a perdu sa fille, et le compagnon de celle-ci, au Bataclan. [DR]

Le soir du 13 novembre 2015, Patricia Correia a perdu sa fille, et le compagnon de celle-ci, au Bataclan. Près de dix mois après le début du procès, celle qui est devenue vice-présidente de l’association 13Onze15 Fraternité et Vérité continue de se battre pour honorer la mémoire des victimes.

Le procès hors-norme des attentats du 13 novembre 2015 touche à sa fin ce mercredi. Le verdict est attendu en fin de journée. Après dix mois d’audiences, les parties civiles se sentent parfois épuisées. C’est notamment le cas de Patricia Correia, mère de Précilia, décédée dans le Bataclan avec son compagnon Manu, alors qu'elle était âgée de 35 ans. Bientôt sept ans après les faits, la douleur reste la même pour cette maman, et le procès n’y changera rien. S’il reste un événement fondamental, gravé à jamais dans l’histoire de la France, le plus important pour elle est de continuer à honorer la mémoire de sa fille et de toutes les victimes.

Comment vous sentez-vous, après presque 10 mois de procès ?

C’est éprouvant, cette situation. Je n’ai pas été souvent sur les lieux, j’ai plutôt écouté les audiences à travers la web radio. C’est nécessaire mais éprouvant. Je pense à ces gens qui sont allées au procès quotidiennement, c’est comme un rituel. Paris Aide aux Victimes s’est mis en relation avec des associations pour pouvoir soutenir ces personnes, parce qu’il y a presque comme une addiction.

J’ai bien fait de me protéger et de me mettre en retrait, en écoutant à distance et en allant au palais de justice pour les moments clés. J’ai voulu me protéger, mais continuer à être au courant, quotidiennement. J’ai voulu me mettre en retrait parce que tout ça, c’est très négatif pour moi.

Il y a eu des moments terribles, j’ai versé des larmes en écoutant la web radio, quand ils ont passé certains sons, quand j’écoutais certains témoignages. Ça vous déchire de l’intérieur, parce que vous vivez ou revivez ces moments. Evidemment, ça vous projette dans les derniers moments de vie de votre enfant. C’est ravageur et destructeur.

Que retenez-vous de ce procès, de l’enquête, des témoignages, des plaidoiries ?

J’en retiens, et c’est l’essentiel pour moi, c’est que si Salah Abdeslam avait dénoncé ce qu’il se passait le 12 novembre, les préparations auxquelles il avait assisté, il n’y aurait pas eu 130 morts et 400 blessés. Si la peine qui a été demandée par l'avocate générale, c'est-à-dire une peine de 30 ans, la perpétuité incompressible, est prononcée, et bien je n'aurai aucune compassion pour cet individu. S’il avait passé un coup de fil, comme l'a fait Sonia (témoin-clé qui a dénoncé Abdelhamid Abaaoud, qui projetait une attaque à La Défense. Son appel à la police a permis la neutralisation du terroriste, ndlr) ce drame, cette horreur, cette barbarie collective n’aurait pas eu lieu. Il ne l’a pas fait.

Au début du procès, il s’est présenté comme un combattant de Daesh, il prônait la charia et disait qu’il sera récompensé par son dieu. Il vient ensuite dire qu’il a fait une action humanitaire, car il n’a pas fait exploser son gilet dans un bar car il y a des jeunes d’à peu près son âge, présente ses excuses et demande qu’on lui pardonne.

Alors j'espère que ce qui a été demandé par l'avocate générale sera respecté parce que sinon ça serait un peu dommage que la justice cède à ça, même si les accusés ont évidemment droit à une défense.

Vous ne croyez pas à la thèse, soutenue par les avocats de Salah Abdeslam, selon laquelle il aurait eu un sursaut d’humanité et aurait finalement décidé de ne pas tuer des innocents ?

Non, l’humanité il fallait l’avoir le 12 novembre 2015 au soir. Aujourd’hui, c’est trop tard. Ma fille est clouée dans un cercueil. Pour elle, c’est la vraie perpétuité, ainsi que pour toutes les personnes qui ont perdu un être cher.

Avez-vous toutefois le sentiment que ce procès a été réparateur, qu’il a effectivement rendu justice à tous les défunts ?

Vous savez, ce procès est utile, et doit être exemplaire. Mais nos enfants ne reviendront jamais, et ce ne sera jamais assez. On ne peut pas arriver à la hauteur de ces crimes et ces assassinats. Mais ce procès est nécessaire et sera gravé dans l’histoire de notre pays. Il faut que la justice ait le dernier mot.

Comment appréhendez-vous l’après-procès, une fois que le verdict sera prononcé ?

C’est un volet que je vais tourner. Je reste cependant consciente qu’il y aura certainement des demandes d’appel. Dans ce cas, je me mettrai encore une fois à distance, et je n’irai pas systématiquement aux audiences. Le tribunal, ce n’est pas ma résidence secondaire. Ma résidence secondaire, c’est le cimetière. J’y vais une ou deux fois par semaine, parce que j’ai besoin de parler à ma fille, j’ai besoin de me recueillir auprès d’elle. Elle est avec moi en permanence, que ce soit le matin, le soir, la nuit, quand je me réveille, elle est tout le temps avec moi.

Ce procès ne me rendra pas ma fille. Il faut que la justice se fasse, mais après, vous avez deux solutions : soit vous vous laissez mourir, soit vous rebondissez et vous menez certains combats, comme celui de la mémoire. C’est ma façon de fonctionner, et j’ai encore cette force pour le moment.

Comment vous engagez-vous dans ce travail de mémoire ?

Je suis très investie le fonds de garantie. On se bat avec cet organisme qui nous met des bâtons dans les roues sans arrêt. Avec l’association 13Onze15 Fraternité et Vérité, nous travaillons avec eux régulièrement pour rédiger les courriers à l’intention des victimes, parce que ces courriers peuvent parfois être d’une violence extrême. On nous demande sans cesse des documents, les procédures sont extrêmement longues, alors que nous sommes déjà affaiblis, fatigués. Nous sommes des êtres humains, il faudrait un peu plus d’humanité dans leur façon de procéder.

J’ai également renouvelé mon mandat de vice-présidente de l’association 13Onze15, car je veux continuer mon combat pour la mémoire. On ne doit jamais oublier. Et je ne baisse pas les bras parce que la gestion du fonds de garantie est scandaleuse.

Nous avons également travaillé, avec l’association Life for Paris et la mairie de Paris, sur le jardin du souvenir, qui se situera place Saint Gervais. Je suis également personnellement engagée et je me bats pour que la stèle commémorative en face du Bataclan, où figurent les noms des 90 victimes, soit aménagée. Le projet est toujours en discussion avec la mairie du 11e arrondissement.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités