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IVG dans la Constitution française : quels autres droits sont protégés dans la norme suprême ?

Les députés de la majorité vont présenter un projet de loi pour consacrer le droit à l'IVG dans la Constitution. [BERTRAND GUAY / AFP]

La révocation de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis a conduit certains politiques hexagonaux à demander l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution française. Cette Constitution consacre, protège et garantit en effet de nombreux droits et principes.

La Constitution est le texte juridique le plus important en France, elle se trouve au sommet de la pyramide de Kelsen qui régit la hiérarchie des normes françaises.

Ainsi, les traités internationaux, les lois et règlements adoptés doivent être conformes à la Constitution de 1958 et aux autres textes composant le bloc de constitutionnalité.

La Constitution du 4 octobre 1958, organisatrice de la Ve république

La Constitution du 4 octobre 1958 énonce les principes juridiques et politiques fondateurs de la Ve République. Xavier de Bonnaventure, docteur en droit et chargé d'enseignement public, rappelle que la vocation de la Constitution française est double : «La première va être d'organiser et de séparer les pouvoirs (Ndlr. exécutif, législatif et judiciaire) et la deuxième, de protéger un certain nombre de libertés considérées comme fondamentales.»

Dans le texte pur de la Constitution, peu de droits, principes et libertés sont explicitement protégés . Mais l'on trouve notamment des droits fondamentaux, tels que : 

- L'indivisibilité de la Nation. C'est ce principe qui empêche l'indépendance des territoires français comme la Corse par exemple. 

- Le principe d'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion mais également le principe de laïcité et de respect des croyances (article 1er

- Le principe de fraternité (articles 2 et 72-3)

- La liberté individuelle qui interdit la détention arbitraire (article 66)

- La libre administration des collectivités territoriales françaises (article 72)

Le préambule de la Constitution de 1958 renvoie cependant à différents textes protégés par cette dernière et composant le bloc de constitutionnalité.

Le bloc de constitutionnalité protecteur des droits naturels

Si la Constitution ne protège pas directement de nombreux droits, principes et libertés, son bloc de constitutionnalité, intégré en juillet 1971, comprend «d'autres normes écrites notamment la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen 1789 et le préambule de la Constitution de 1946, qui ont vocation à garantir un certain nombre de libertés fondamentales.» 

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui a été adopté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale protège de nombreux principes. Le plus important d'entre eux est la garantie faite aux femmes dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. C'est ce principe qui permet aux femmes françaises d'accéder notamment au droit de vote.

Autre texte protégé par la Constitution française, la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789. Un texte fondateur de la nouvelle ère politique française qui débute avec la Révolution. Elle signe la fin de l'Ancien régime et instaure une égalité de principe entre les Hommes qui «naissent et demeurent libres et égaux en droits». 

La DDHC se compose de 17 articles qui disposent chacun d'une liberté ou d'un droit. L'article 1er établit l'égalité des hommes en droits, l'article 9 instaure la présomption d'innocence, l'article 11 la liberté d'expression et l'article 17 le droit de propriété.

Le bloc de constitutionnalité abrite également la Charte de l’environnement de 2004, qui inscrit des droits relatifs à la protection de l'environnement et du cadre de vie du citoyen.

Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ou PFRLR, sont des principes ayant valeurs constitutionnelles et qui sont le résultat de décision du Conseil constitutionnel ou du Conseil d'État. Le Conseil constitutionnel a dégagé onze PFRLR parmi lesquels la liberté d’association et d’enseignement.

Enfin les principes à valeur constitutionnelle qui sont la jurisprudence du Conseil constitutionnel font également partie du bloc. Ils protègent notamment le respect de la vie privée ou la sauvegarde de la dignité humaine.

Inscrire l'ivg : une constitution dévoyée ? 

Si la Cour suprême des États-Unis a révoqué l'arrêt Roe v. Wade, elle n'a cependant pas interdit l'avortement en lui-même. En effet, Xavier de Bonnaventure rappelle que cette décision s'inscrit, d'un point de vue juridique, dans la «logique du fédéralisme américain», qui permet aux États «de déterminer eux-mêmes leur propre législation en matière d'IVG.» C'est ce fédéralisme qui a permis à certains États américains de réduire drastiquement, voire d'interdire le recours à l'IVG. 

Une décision qui a provoqué une vague d'indignation aux États-Unis mais aussi dans d'autres pays comme en France et qui a conduit la députée Renaissance (anciennement LREM) et présidente de groupe, Aurore Bergé, a annoncé le dépôt d'une proposition de loi visant à inscrire «le respect de l'IVG dans notre Constitution». Une inscription qui pourrait prendre plusieurs formes mais qui ne serait pas juridiquement en accord avec le rôle fondamental de la Constitution. 

Xavier de Bonnaventure estime que «l’on assiste à un dévoiement de ce qu’une Constitution a vocation à être, c'est-à-dire intemporelle. Elle ne doit surtout pas s’inscrire dans l’immédiateté de l'émotion», comme c’est le cas aujourd’hui avec la question de l’IVG. 

Une question de temporalité chère au coeur du chargé d'enseignement public qui explique : «il faut admettre l'idée que la Constitution n'a pas vocation à se situer dans une temporalité politique. Or quand on regarde, ce qui alimente aujourd'hui ce débat autour de la décision de recourir à une constitutionnalisation du droit à l'IVG, ce sont essentiellement des considérations politiques.»

Un autre aspect juridique pourrait s'opposer à cette inscription celui de la nature du droit à l'IVG. Xavier de Bonnaventure rappelle que dans «la loi de 1974, portée par Simone Veil, le droit à l'IVG était conçu comme une exception au caractère absolu du droit à la vie, et reposait sur l’état de détresse de la femme.» 

Or, poursuit le docteur en droit, «la vocation de la Constitution est de consacrer des droits fondamentaux inhérents à la nature humaine. Quand on regarde les grandes catégories de droits consacrés par les textes constitutionnels, notamment par la DDHC : le droit à la propriété, la liberté d'opinion, le droit à la sûreté, il s’agit de droits naturels», ce qui n'est pas le cas de l'IVG dans la conception qui en est faite dans le droit français. 

Les voies de recours à la révision constitutionnelle 

Si la majorité présidentielle, mais également les députés des autres groupes parlementaires favorables à ce projet souhaitent le poursuivre, deux articles de la Constitution leur permettent de lancer une révision constitutionnelle.

L'article 89, «qui prévoit que la Constitution peut être révisée par deux voies, la voie référendaire ou par Congrès (Ndlr. Sénat et Assemblée nationale siégeant ensemble)». Cependant la voie du Congrès est complexe, puisqu'elle suppose que la révision doit être acceptée à la majorité des 3/5 du Parlement. 

L'autre possibilité, l'article 11 de la Constitution qui fut utilisé à deux reprises par le général de Gaulle en 1962 et en 1969. Il s'agit ici d'une voie de contournement qui permet une révision constitutionnelle par voie de référendum. La voie de référendum peut s'avérer dangereuse pour le gouvernement puisqu'elle pourrait diviser farouchement la société à l'aune d'une forte crise économique.

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