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Paris : qu'est-ce que l'I3P, ce service de la préfecture de police dans lequel s'est infiltré un journaliste ?

Vue partielle de l'hôpital Sainte-Anne, où se trouve l'I3P, dans le 14e arrondissement de Paris. Vue partielle de l'hôpital Sainte-Anne, où se trouve l'I3P, dans le 14e arrondissement de Paris. [© JOEL SAGET / AFP]

En 2017, alors qu'il cherche à infiltrer un commissariat parisien, le journaliste Valentin Gendrot est affecté, après 3 mois passés à l'école de police, à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, plus communément appelée «l'I3P». Une déception à ce moment-là de sa vie, dont il va tirer une expérience hors du commun racontée dans un livre qui vient de paraître.

Au cœur de la «boîte noire». Médiatisé il y a deux ans lors de la sortie de son livre «Flic», dans lequel il revient sur son infiltration dans le commissariat du 19e arrondissement de Paris, le journaliste Valentin Gendrot avait à l'époque décidé de ne pas trop s'épancher sur sa toute première affectation, à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. «Avec mon éditeur [La Goutte d'or, ndlr], nous étions pris entre deux feux. Ce n'était pas le sujet du livre, donc nous avons pris le parti d'en parler à minima», explique-t-il aujourd'hui.

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Mais marqué par ce qu'il qualifie de «boîte noire de la folie parisienne», le journaliste spécialiste de l'infiltration a finalement décidé de revenir sur son passage de 15 mois en tant qu'«ambulancier» au sein de l'I3P, située au 3 rue Cabanis, dans le 14e arrondissement de Paris, et collée au célèbre hôpital psychiatrique de Sainte-Anne. Structure tenue au secret, qui n'avait jusqu'à aujourd'hui jamais été infiltrée, si ce n'est pas Albert Londres en personne dans les années 1920, avant qu'il ne soit rapidement reconnu et démasqué. Une plongée dans un univers opaque.

«Un lieu interdit aux regards extérieurs»

«L'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris est une boîte noire. Un lieu où règne le secret médical, interdit aux regards extérieurs et aux journalistes. Un établissement unique en France, et même en Europe. Un Etat dans l’Etat», écrit d'emblée Valentin Gendrot dans son livre, qui témoigne comment toutes les personnes en crise arrêtées dans Paris finissent là, pendant 48 heures maximum, avant d'être prises en charge, si besoin, par l'hôpital psychiatrique.

«On y traite l'urgence», témoigne aujourd'hui le journaliste, énumérant les 3 options possibles pour les personnes arrêtées et placées à l'I3P : «soit elles sont hospitalisées en hôpital psychiatrique», «soit elles retournent en garde à vue dans le commissariat de l'arrondissement où elles ont été interpellées», «soit elles sont remises en liberté». Chaque année, 1.800 à 2.000 personnes sont admises dans ce service, et plus d'un millier d'entre elles finissent ensuite à l'hôpital psychiatrique, contre les 419.000 personnes internées en France tous les ans. «Petite goutte d'eau dans l'océan de la psychiatrie», ironise l'auteur.

Durant son infiltration, alors qu'il n'est autre qu'un apprenti policier dont le grade officiel est Adjoint de sécurité (ADS), Valentin Gendrot occupe le poste de chauffeur, qui – au volant d'une ambulance Citroën C8 – est chargé de conduire les personnes arrêtées dans les hôpitaux psychiatriques où elles seront finalement internées. C'est comme ça qu'il assiste aux scènes qui le marqueront à tout jamais, comme le jour où un jeune homme de 24/25 ans qui avait attaqué son ex-petite amie finit attaché allongé sur son lit d'hôpital.

Des salariés de la mairie de Paris

Autre fait étonnant de l'I3P : les infirmiers et les autres personnes qui y travaillent sont payés par la Mairie de Paris. Dans son livre, l'apprenti policier évoque cette spécificité lors d'une conversation avec un infirmier, qui lui explique que l'I3P «est un lieu très important pour la psychiatrie parisienne». Et un autre d'enchérir : «les patients sont des électrons libres. Ils se cognent la tête aux murs de Paris et l’I3P est l'un de ces murs».

Ensemble, ils parlent aussi du projet soi-disant porté par l'hôpital Sainte-Anne de fermer cette structure, pour y «installer un centre pour les handicapés mentaux». Une information que l'on retrouve en effet dès 2006, notamment dans un article de Cécile Prieur publié dans Le Monde. «Ni établissement de santé ni local de garde à vue, sans statut juridique bien défini, l'I3P échappe à tout contrôle des autorités sanitaires et ne relève que de la tutelle de la préfecture de police de Paris», peut-on y lire, avant d'apprendre que le bâtiment de l'I3P est en effet revendiqué par l'hôpital voisin.

Après ce papier, qui donnait à l'I3P son image de «zone de non-droit», le préfet de police de Paris de l'époque avait demandé un droit de réponse, dans lequel il avait répondu à quelques polémiques. Pierre Mutz, préfet de police de fin 2007 à mi-2008, défend alors le modèle de l'I3P : «la prise en charge est entièrement médicale. Le rôle des policiers s'arrête à l'entrée de l'établissement où ils conduisent la personne concernée. Les mesures éventuelles de garde à vue [...] sont suspendues, pour laisser place à l'approche strictement médicale du cas».

«Le dispositif particulier de Paris permet ainsi à 57 % des personnes présentées d'éviter une hospitalisation d'office», poursuit-il encore, jurant de «l'absolue indépendance médicale de l'I3P». Quant aux droits des personnes arrêtées, comme celui de demander à voir un avocat, le préfet de police assure que cela «ne pose aucun problème de principe et peut, sans inconvénient, être inclus dans la charte d'accueil» qui régit l'activité de la structure. Depuis cette lettre, et malgré sa mauvaise réputation, rien ne semble avoir changé à l'I3P.

C'est notamment la raison pour laquelle Valentin Gendrot a souhaité aller plus loin. Après son infiltration, reprenant son statut de journaliste, il a alors pris contact avec 4 personnes arrêtées et détenues durant son passage à l'I3P. Dans la deuxième partie de son livre, il raconte donc les rencontres avec celles-ci, avec leur famille et leurs amis, afin de mieux comprendre leur parcours. «Mon ressenti est de dire que ces personnes-là sont malades, et que l'Etat ne met pas assez de moyens pour eux».

«Quand vous vous faites une entorse de la cheville, vous allez à l'hôpital, il devrait en être de même lorsque votre tête est malade», avance l'auteur de «L'I3P infiltrée», qui parle du «fardeau pour les familles qui doivent gérer un enfant, une sœur qui souffre de schizophrénie ou de bipolarité» et décrit la «souffrance que cela peut générer». «J'ai juste voulu raconter sans donner mon avis, ni mettre d'affect», conclut-il.

«L'I3P infiltrée» de Valentin Gendrot (Albin Michel, 2022)

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