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Loi immigration : démission du ministre de la Santé, majorité divisée... L'exécutif en pleine crise politique

«Il n'y a pas de crise dans la majorité», a assuré la Première ministre au lendemain de l'adoption du texte. [Stephanie Lecocq / REUTERS]

Le Parlement a définitivement adopté mardi le projet de loi immigration issu de la commission mixte paritaire. Si l’exécutif s’évertue à parler de victoire, la démission du ministre de la Santé et les divisons générées par l’adoption d’un texte controversé avec les voix du RN laissent présager les prémices d’une crise politique.

L’exécutif sur un fil. Alors que le passage du projet de loi immigration, soutenu par le Rassemblement national qui s’estime idéologiquement vainqueur de la séquence, a laissé un profond malaise dans les rangs de la majorité, le gouvernement se mure dans le champs lexical de la victoire, refusant d’admettre une quelconque crise politique. Pourtant, à l’image de la démission du ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, et des divisions affichées dans le camp présidentiel, les tensions font poindre un climat d’instabilité que le président pourrait avoir du mal à tempérer. 

«Il n'y a pas de crise dans la majorité», a assuré la Première ministre au lendemain de l'adoption du texte, soutenu à la dernière minute par l'extrême droite et dont une partie de la majorité s'est détournée. «Il n'y a pas de mouvement de fronde ministérielle», a abondé Olivier Véran après plusieurs heures de flou sur la situation du ministre de la Santé et ancien directeur de cabinet d'Élisabeth Borne, qui a finalement présenté sa démission ce mardi matin. «Un non-sujet», avait même jugé la cheffe du gouvernement en début de matinée.

Tout porte donc à croire que la victoire est franche, dans le discours officiel martelé par les membres du gouvernement. Comble de la stratégie affichée : en sortant de l’Hémicycle, Gérald Darmanin s’est félicité d’avoir fait passer un texte «sans les voix du RN», utilisant l’argument contesté de l’hypothèse d’une non-participation des députés marinistes, qui aurait tout de même assuré l’adoption de la loi. «Il y a dans le texte des choses que je n’aime pas mais qui ne sont pas contre nos valeurs», glissait de son côté Emmanuel Macron, ce mercredi matin devant ses ministres, comme pour les rassurer après un chamboulement inattendu.

La majorité «en gueule de bois»

Pourtant, ce n’est pas le sentiment qui prédomine, au lendemain de l’adoption de cette loi controversée, après dix-huit mois de revirements et de rebondissements. La veille, au vu du texte très nettement marqué à droite et alors que Marine Le Pen annonçait que son groupe le voterait, plusieurs ministres avaient mis leur démission dans la balance pour contraindre le trio Macron-Borne-Darmanin de faire demi-tour. En vain. 

L'adoption s'est finalement faite dans la douleur, des dizaines de voix de la majorité manquant à l'appel, tandis que celles de LR, premier interlocuteur du gouvernement lors des dernières tractations, compensaient ces pertes. L'attitude des ministres marqués à gauche, comme Clément Beaune (Transports), était d'ailleurs particulièrement scrutée lors du Conseil des ministres, ce mercredi. 

Plusieurs figures de la majorité ne cachaient pas non plus leur gêne, ce mercredi matin, accentuée par le ralliement de Marine Le Pen à ce texte qui a pour but de faciliter les expulsions de migrants illégaux et rendre moins attractif pour les étrangers le système de protection sociale français. Le président de la commission des Lois Sacha Houlié, qui a voté contre le texte, a même déclaré avoir «un peu la gueule de bois».

«Il est absolument nécessaire de remettre d'aplomb la majorité, ses idées, et le gouvernement», a pour sa part jugé le patron du MoDem, François Bayrou, allié historique d'Emmanuel Macron. Un sentiment partagé par la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui a admis qu'elle «n’aurait pas rédigé 100% du texte» qu'elle a voté mardi et que «la majorité vivait un moment plutôt douloureux». 

L’opposition vent débout contre «la préférence nationale»

Du côté de l’opposition, le patron du parti socialiste, Olivier Faure, a dénoncé ce mercredi «une crise politique comme on n'en a pas connue depuis des années», et un «malaise général» dans la majorité. Le député de Seine-et-Marne a jugé «inouï» que des membres de la majorité «expliquent qu'ils votent des sujets anticonstitutionnels» en semblant «espérer une censure» des dispositions les plus controversées. «Le Conseil constitutionnel n'est pas la lessiveuse des consciences», a-t-il critiqué.

«Pour la première fois, on a dans la loi introduit un principe pour lequel Jean-Marie Le Pen combattait depuis quarante ans, le principe de préférence nationale», a-t-il poursuivi. Les macronistes «ont repris intégralement les revendications qui sont habituellement celles de l'extrême droite». Olivier Faure a par ailleurs salué la démission du ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, «à la hauteur» du «séisme», à ses yeux.

Autre symbole, 32 départements de gauche ont annoncé qu’ils n’appliqueront pas le durcissement des conditions de versement aux étrangers de l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA) prévu par la nouvelle loi immigration. «Nous, présidentes et présidents de départements de gauche, refusons l'application du volet concernant l'allocation personnalisée d'autonomie de cette loi inspirée par l'extrême-droite, portée par un exécutif qui prétendait incarner la modération et qui n'est désormais plus que l'illustration de la compromission», ont-ils déclaré dans un communiqué.

Même chez les Républicains, pourtant favorables au passage de la loi, le scepticisme est de mise. Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, à la manoeuvre depuis plusieurs semaines pour faire pencher le texte à droite, a ainsi mis en doute la détermination du chef de l'Etat à appliquer le texte voté mardi, prédisant la fin du macronisme qui selon lui ne tenait que lorsqu'il y avait «des petites mesures». 

Ce mercredi soir, dans l'émission «C à vous» sur France 5, Emmanuel Macron a défendu une loi que les Français «attendaient». Dans l'immédiat, il a saisi, conformément à son engagement avant l'adoption de la loi, le Conseil constitutionnel pour que les Sages puissent «statuer sur la conformité de tout ou partie de cette loi». Conformité que la Première ministre a elle-même reconnu fragile.

Le texte «sera amené à évoluer», a-t-elle expliqué, n'excluant pas de «revenir» sur certaines dispositions comme les aides personnalisées au logement, qui ont cristallisé les derniers débats. Elle a aussi assuré que l'Aide médicale d'Etat (AME) pour les étrangers sans papiers ne serait «pas supprimée», après s'être pourtant engagée auprès de la droite à la réformer début 2024. Le symbole au mieux d’un vacillement, au pire, d’une crise politique. 

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