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Les clés pour comprendre la crise au Cachemire

Des étudiants pakistanais protestent le 5 août à Lahore contre l'annonce de l'Inde de révoquer l'autonomie constitutionnelle du Cachemire indien, en proie à un conflit territorial avec le Pakistan depuis 70 ans. «Le Cachemire saigne», peut-on notamment lire sur leurs banderoles. Des étudiants pakistanais protestent le 5 août à Lahore contre l'annonce de l'Inde de révoquer l'autonomie constitutionnelle du Cachemire indien, en proie à un conflit territorial avec le Pakistan depuis 70 ans. «Le Cachemire saigne», peut-on notamment lire sur leurs banderoles. [ARIF ALI / AFP]

Une décision qui a mis le feu aux poudres. L'Inde a annoncé lundi 5 août la révocation de l’autonomie constitutionnelle du Cachemire, une région au coeur d'un conflit territorial avec le Pakistan depuis plus de 70 ans.

La partition de l'empire colonial britannique comme point de départ

En 1947, les Britanniques accordent l'indépendance aux territoires composant l'empire colonial des Indes. Face au déferlement de violence entre hindous et musulmans dans la région, c'est le choix de la partition qui est fait. Ainsi, le 15 août, naissent deux Etats : l'Inde, majoritairement hindoue, et le Pakistan, musulman.

Mais une région pose problème : le Cachemire, à la frontière entre les deux nouveaux pays. Il refuse de choisir entre l'Inde et le Pakistan, et opte pour l'indépendance, mais une guerre éclate après l'incursion de tribus venues du Pakistan. Le prince régnant, hindou, demande l'aide militaire de l'Inde pour contrer les attaques pakistanaises et accepte d'être rattaché à l'Union indienne, en dépit d'une population majoritairement musulmane.

L'ONU intervient, à la demande de l'Inde, pour faire cesser les combats. Après plusieurs mois de conflit, l'organisation internationale réussit à négocier un cessez-le-feu, qui entre en vigueur le 1er janvier 1949. Le Cachemire est divisé en deux parties : un tiers pour le Pakistan et les deux tiers restants pour l'Inde. Mais aucune frontière «officielle» n'est érigée, la ligne de cessez-le-feu jouant ce rôle. Ainsi, cette issue ne met pas fin aux revendications territoriales sur cette région stratégique, car située entre l’Inde, le Pakistan et la Chine.

Une région marquée par des flambées régulières de violences

Véritable poudrière depuis l'indépendance de l'empire britannique des Indes en 1947, le Cachemire vit régulièrement des poussées de violence.

Entre août et septembre 1965, une seconde guerre indo-pakistanaise éclate dans cette région himalayenne, après l'intrusion dans la partie indienne d'un millier de partisans du Cachemire indépendant, soutenus par le Pakistan. Le conflit s'achève par une médiation soviétique et une défaite d'Islamabad.

Après une nouvelle guerre entre les deux pays en 1971, mais au sujet d'une autre région, le Pakistan oriental (qui deviendra à l'issue du conflit le Bangladesh), le Cachemire retombe dans la violence dans les années 90. D'une véritable guerre entre les deux voisins, la bataille se transforme en insurrection séparatiste dans la partie indienne, lancée fin 1989.

Malgré l'absence des forces pakistanaises dans ces hostilités, l'Inde accuse son voisin de soutenir en sous-main les infiltrations des indépendantistes et la rébellion armée. L'un des épisodes les plus meurtriers de cette période se produit en 1999. New Delhi accuse Islamabad d'avoir infiltré sa portion du Cachemire avec des combattants islamistes et des soldats pakistanais, dans le but de s'emparer du glacier du Siachen. Les combats font plus de mille morts des deux côtés de la frontière.

Après plus d'une décennie relativement calme, une nouvelle flambée de violences survient dans le Cachemire indien en 2016, après la mort sous les balles indiennes d'un charismatique commandant rebelle, Burhan Wani, âgé de 23 ans. Au total, 90 personnes trouveront la mort entre juillet et septembre dans des heurts violents entre manifestants et police, et entre rebelles et soldats indiens.

Un attentat visant des militaires indiens ravive les tensions

Le 14 février dernier, 41 paramilitaires indiens sont tués dans un attentat-suicide à la voiture piégée dans le Cachemire indien, où environ un demi-million de soldats indiens sont basés, ce qui en fait l'une des zones les plus militarisées du monde. Il s'agit de l'attaque la plus meurtrière contre l'armée indienne dans cette région depuis le début de l'insurrection séparatiste, en 1989. Celle-ci est immédiatement revendiquée par un groupe islamiste basé au Pakistan, Jaish-e-Mohammed.

Une nouvelle fois, l'Inde accuse le Pakistan de laisser les organisations terroristes opérer en toute liberté sur son territoire et de s'en servir comme base arrière dans son combat contre New Delhi, ce que nie en bloc Islamabad. En réponse à cet attentat, les autorités indiennes procèdent le 26 février à une frappe aérienne «préventive» au Pakistan, visant selon les autorités indiennes le principal camp d'entraînement de Jaish-e-Mohammed. Une véritable «agression» selon Islamabad, puisque c'est la première fois que l'Inde bombarde son frère ennemi depuis la guerre de 1971.

Des affrontements entre avions de chasse des deux pays s'ensuivent. L'Inde comme le Pakistan affirment avoir abattu des appareils du camp opposé. Dans ces combats, un pilote indien est capturé au Cachemire. Il est finalement remis aux autorités indiennes quelques jours plus tard, mettant fin à l'une des plus graves crises de ces dernières années entre les Etats voisins, tous deux détenteurs de l'arme nucléaire depuis 1998.

Une annonce explosive sur l'autonomie du cachemire indien

Depuis l'entrée en vigueur de la Constitution indienne en 1950, le Cachemire indien, c’est-à-dire l’Etat du Jammu-et-Cachemire, bénéficiait d'un statut spécial, en raison des tensions existant avec le Pakistan. Il autorisait le gouvernement central de New Delhi à légiférer seulement en matière de défense, d'affaires étrangères et de communications dans la région, le reste relevant de l'assemblée législative locale.

En annonçant lundi 5 août la révocation de l'autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire, le gouvernement indien du Premier ministre Narendra Modi, membre du parti nationaliste hindou du BJP et triomphalement réélu au printemps pour un deuxième mandat, n'a fait que mettre en oeuvre l'une de ses vieilles promesses de campagne. Mais, en plaçant ce territoire à majorité musulmane sous sa tutelle plus directe, l'Inde risque, selon les experts, d'une part de revigorer l'insurrection séparatiste (qui a fait plus de 70 000 morts depuis 1989), et d'autre part d'envenimer les relations déjà tendues avec le Pakistan.

Pour prévenir toute flambée de violences, New Delhi a totalement verrouillé la région depuis une semaine. L'exécutif indien vient d'y déployer quelque 80 000 paramilitaires supplémentaires, s'ajoutant au demi-million qui était déjà sur place. Toutes les communications y sont coupées et la liberté de rassemblement y a été restreinte. Selon la presse indienne, au moins 500 personnes y ont été arrêtées et placées en détention la semaine dernière, parmi lesquels des responsables politiques et des militants séparatistes, afin de limiter les risques de manifestation.

Malgré ces mesures, environ 8.000 personnes ont manifesté vendredi 9 août, à Srinagar, capitale du Cachemire indien. Les forces de sécurité ont riposté avec du gaz lacrymogène et des tirs d'armes à plomb, faisant 12 blessés légers, selon un témoin. Quelque 500 protestataires ont également marché dimanche 11 août dans la région, où les restrictions militaires avaient été légèrement allégées. Lors d'une précédente mobilisation, mardi 6 août, un manifestant est mort, après avoir été pourchassé par la police et avoir sauté dans une rivière.

Le Pakistan a également vivement réagi à la décision de son voisin indien. Le Premier ministre pakistanais Imran Khan a critiqué dimanche 11 août sur Twitter l'inaction de la communauté internationale, la comparant au silence ayant entouré la montée du nazisme et l'émergence d'Hitler en Allemagne dans les années 1930. Le ministère pakistanais des Affaires étrangères avait auparavant qualifié ces mesures d' «illégales», arguant qu'elles violaient une résolution de l'ONU. Le pays compte saisir le Conseil de sécurité de l'organisation internationale, mais a écarté l'option militaire. Plusieurs manifestations anti-indiennes ont par ailleurs éclaté dans le pays depuis l'annonce du gouvernement indien.

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