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Coronavirus : entre espoirs et doutes, le projet de vaccin de Moderna en 5 questions

Dévoilés lundi, les premiers résultats, très préliminaires, des essais cliniques du vaccin développé par Moderna, sont positifs selon la biotech américaine. Dévoilés lundi, les premiers résultats, très préliminaires, des essais cliniques du vaccin développé par Moderna, sont positifs selon la biotech américaine. [Maddie Meyer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP]

Parmi les 169 projets de vaccin contre le coronavirus lancés dans le monde, dont 12 sont en phase d'essais cliniques, l'un d'eux prend actuellement toute la lumière : celui de la société biotechnologique américaine Moderna. Il fait même la pluie et le beau temps sur les bourses mondiales, qui s'envolent à l'annonce de bonnes nouvelles provenant de l'entreprise et refluent lorsque des doutes s'insinuent. Tour d'horizon de tout ce que l'on sait sur ce vaccin en cinq questions.

Que disent les premiers résultats des essais cliniques ?

Après avoir été parmi les premiers au monde, dès le 16 mars, à débuter les essais de son candidat-vaccin sur les humains - développé en 63 jours -, Moderna a dévoilé ce lundi 18 mai les résultats préliminaires de ses tests, appelés de phase I. Selon la biotech américaine, fondée il y a neuf ans et dans laquelle le gouvernement américain a investi 483 millions de dollars (441 millions d'euros), ils sont encourageants. En effet, chez huit personnes, le vaccin expérimental, baptisé mRNA-1273, a déclenché une réponse immunitaire similaire à ce qu'on observe chez les gens qui ont été naturellement contaminés par le virus qui cause le Covid-19.

«J'ai vu les résultats, ils sont stupéfiants», s'est immédiatement réjoui le président américain Donald Trump, qui veut que 300 millions de doses soient prêtes d'ici à janvier 2021 pour vacciner la population américaine. «Je suis très heureux et les marchés sont en hausse», a-t-il ajouté, la Bourse de New York terminant en très nette hausse lundi, l'action de Moderna s'envolant elle de près de 20 %.

Pourquoi doivent-ils être pris avec précaution ?

L'enthousiasme des marchés a vite été douché par la publication mardi d'un article sur STAT, un site web d'informations américain spécialisé dans la santé et la médecine, l'indice Dow Jones perdant 1,6 %, le S&P 500 1 % et le Nasdaq 0,5 %. Dans celui-ci, la journaliste Helen Branswell pointe plusieurs limites aux résultats divulgués par Moderna, aidée par l'analyse de deux experts des vaccins. En premier lieu desquelles le silence de l'Institut national des maladies infectieuses (NIAID), dirigé par le très réputé docteur Anthony Fauci - conseiller de Donald Trump dans cette crise sanitaire -, partenaire de Moderna dans le développement de ce vaccin et d'habitude très prompt à se vanter de ses succès.

Les données révélées par Moderna sont par ailleurs très parcellaires, puisqu'elles ne concernent que huit volontaires sur les 45 patients étudiés : quid des 37 autres ? Un autre élément gêne les spécialistes : le fait que Moderna ne publie pas ses résultats dans des revues scientifiques, mais les dévoile seulement dans des communiqués de presse. Une manière de faire qui n'est pas suffisante, selon Helen Branswell, pour s'attirer les bonnes grâces du milieu scientifique, qui réclame des chiffres plutôt que des mots.

COMMENT FONCTIONNE CE VACCIN ?

Le candidat-vaccin développé par Moderna est fondé sur une technologie appelée ARN messager, qui vise à donner au corps les informations génétiques nécessaires pour déclencher préventivement la protection contre le coronavirus. Une technique utilisée également par une vingtaine d'autres équipes de recherche dans le monde, mais qui n'a encore jamais montré son efficacité. «Aucun vaccin autorisé chez l'humain aujourd'hui n'est basé sur de l'ARN», souligne Judith Mueller, médecin épidémiologiste à l'Institut Pasteur et à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), ce concept de vaccin étant très récent. 

Alors pourquoi Moderna a-t-elle choisi cette technologie ? Car elle permet «de pouvoir produire rapidement en grande quantité», explique Judith Mueller. Exactement ce qu'il faut pour le Covid-19, un virus mondial qui frappe - quasiment - tous les pays de la planète (près de 5 millions d'infections et plus de 320.000 morts). Plusieurs milliards d'habitants pourraient donc être intéressés par un potentiel vaccin. 

QUELLES ÉTAPES DOIT-IL ENCORE FRANCHIR ?

Le candidat-vaccin de Moderna n'en est encore qu'à la phase I du protocole sanitaire, qui compte trois phases. Il est donc en retard par rapport au projet mené par la biotech chinoise CanSino, en collaboration avec l'Académie des sciences médicales militaires chinoise, le seul à être déjà entré dans la phase II. Les résultats révélés lundi par la société américaine ne portent en plus que sur des données «intérimaires». Aucune date n'a pour l'instant été annoncée pour la publication des résultats complets de la première étape. Malgré tout, Moderna a déjà reçu le feu vert de l'Agence américaine des médicaments (la FDA, Food and Drug Administration) pour entrer dans la phase II des tests. Portant sur 600 patients, elle devrait démarrer d'ici au moins de juin. Quant à la phase III, qui se fait généralement sur des milliers de personnes, elle devrait débuter en juillet, a déclaré Stephen Hoge, le président de Moderna.

«Dans le scénario le plus optimiste, si tout se passe bien - et il y a 50 raisons pour qu'il y ait des retards - (...) il n'est pas impossible du tout que sur la période octobre-novembre», la société ait assez de données pour juger de l'efficacité de ce vaccin et ainsi pourvoir déposer un dossier aux agences réglementaires en Europe et aux  Etats-Unis, a expliqué mardi le PDG de Moderna, le Français Stéphane Bancel. Mais un problème peut toujours être détecté, même à la fin du processus, souligne Judith Mueller. Et celle-ci de citer l'exemple d'un candidat-vaccin contre la dengue, une maladie virale transmise à l'homme par des moustiques. «Il a fallu attendre la phase III pour se rendre compte que si l'on injectait le vaccin à des personnes jamais infectées par le virus, elles se retrouvaient plus à risque que sans vaccin», indique la spécialiste. 

Quand pourrait-il être disponible ?

Une fois le dossier déposé aux autorités sanitaires mondiales, l'approbation du vaccin de Moderna pourrait prendre, aux Etats-Unis, «quelques semaines au lieu de prendre six mois», dans le cadre d'une procédure accélérée, a déclaré le PDG Stéphane Bancel. A voir si l'Europe choisit également de raccourcir le processus réglementaire. Le Vieux Continent à qui Stéphane Bancel a adressé un message mardi, les appelant à passer commande rapidement, les délais de livraison variant «de 6 à 9 mois». Pour les rétrécir au maximum, la société a déjà annoncé - comme certains grands laboratoires - qu'elle commencerait à produire des millions de doses sans attendre le résultat des essais cliniques.

Mais la question des capacités de production va rapidement se poser. En effet, «difficile d'imaginer un laboratoire avoir, seul, les capacités de production suffisantes pour ce vaccin», estime l'économiste de la santé Nathalie Coutinet, enseignante-chercheuse à l'Université Sorbonne Paris Nord. D'où l'accord qu'a récemment conclu Moderna avec le géant pharmaceutique et chimique suisse Lonza, avec l'objectif de pouvoir fabriquer jusqu'à un milliard de doses par an. Malgré cela, la biotech - qui n'a jusqu'à présent jamais reçu d'homologation pour un médicament ou un vaccin - n'aura pas les moyens de servir tout le monde tout de suite. «Il faudra travailler avec les différents gouvernements pour savoir qui sont les gens qui en ont le plus besoin», a affirmé Stéphane Bancel, citant le corps hospitalier, les personnes âgées et les personnes à risque. A l’inverse, «les personnes plus jeunes ne seront sans doute pas vaccinées l’année prochaine, ni même en 2022».

Comme évoqué par le laboratoire français Sanofi récemment - ce qui a provoqué un tollé dans l'Hexagone -, les Etats-Unis passeront-ils en premier ? Francis Collins, le directeur des Instituts nationaux de santé (NIH), dont dépend le NIAID, partenaire de Moderna dans la course au vaccin, a tenu à désamorcer toute éventuelle polémique. «Si nous obtenons un vaccin qui marche, j'aimerais qu'il soit disponible au plus vite là-bas (en Afrique, NDLR), et en Amérique du Sud», a-t-il assuré à l'AFP ce mercredi. «Nous avons une grande responsabilité. Nous sommes le pays le plus riche au monde, nous ne pouvons pas nous contenter de nous occuper de nous-mêmes, ce serait terrible.»

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