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Coronavirus : combien un vaccin pourrait-il rapporter au laboratoire qui l'a mis au point ?

Les retombées financières de la découverte d'un vaccin dépendront de la politique de propriété intellectuelle choisie par le laboratoire. Les retombées financières de la découverte d'un vaccin dépendront de la politique de propriété intellectuelle choisie par le laboratoire. [DOUGLAS MAGNO / AFP]

La course au vaccin contre le coronavirus bat son plein. Près de 120 projets différents ont été lancés, dont une dizaine sont en phase d'essais cliniques. Les laboratoires de toute la planète, soutenus par les pouvoirs publics, s'y intéressent, attirés par les potentiels gains financiers, mais également en termes d'image.

Selon Jérôme Wittwer, professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et spécialiste du secteur de la santé, les revenus que peut attendre le laboratoire qui trouverait un vaccin sont «potentiellement très importants, compte tenu du nombre de pays intéressés», le coronavirus affectant désormais quasiment tous les Etats de la planète.

Mais pour Nathalie Coutinet, enseignante-chercheuse à l'Université Sorbonne Paris Nord, il est pour l'instant impossible d'anticiper le montant de ces retombées économiques. En effet, selon elle, cela dépendra beaucoup du laboratoire qui mettra au point un vaccin en premier, soulignant que beaucoup de projets sont portés non pas par un seul acteur, mais par des groupements de plusieurs organismes, parfois issus de pays différents.

Cette spécialiste des firmes pharmaceutiques rappelle que la Coalition pour l'innovation en matière de préparation aux épidémies (Cepi), un organisme international créé en 2017 réunissant une dizaine d'Etats et de fondations (parmi lesquels l'Allemagne, le Japon ou la fondation Bill & Melinda Gates), soutient et finance neuf projets de vaccins, dont l'un est mené par l'Institut Pasteur dans le cadre d'un consortium. 

«Si c'est l'un d'eux qui trouve un vaccin en premier, on peut imaginer que leur politique de propriété intellectuelle sera favorable aux pays du Sud, étant donnée la visée philanthropique du Cepi», estime Nathalie Coutinet. Ce qui signifiera donc des bénéfices financiers moindres pour les laboratoires et entreprises pharmaceutiques.

Des bénéfices plus indirects

«Mais si c'est l'un des projets financés par le ministère de la Santé américain qui trouve un vaccin en premier, la politique de propriété intellectuelle sera beaucoup plus stricte, avec donc des prix plus élevés», et des retombées économiques plus importantes à prévoir pour les labos, explique la maîtresse de conférences en sciences économiques, les Etats-Unis ayant une politique beaucoup plus «agressive» dans ce domaine.

Via l'Autorité pour la recherche et développement avancée dans le domaine biomédical (Barda), Washington soutient en effet financièrement plusieurs projets de vaccin, notamment celui porté par l'alliance entre les deux géants pharmaceutiques GSK et Sanofi, mais aussi celui de l'entreprise de biotechnologie Moderna (qui bénéficie aussi de l'appui du Cepi), actuellement en phase 1 d'essais cliniques.

Mais à crise sanitaire exceptionnelle, comportement exceptionnel ? C'est en tout cas ce que croit Jérôme Wittwer, qui n'imagine pas le laboratoire qui mettrait la main sur un vaccin le faire payer plein pot, notamment aux pays pauvres, et ce même s'il est américain. «Les dégâts en termes d'image seraient catastrophiques», juge le professeur d'économie. «Ils ont tout intérêt à jouer la carte d'un accès au vaccin très large», poursuit-il. Imaginez par exemple le Français Sanofi et le Britannique GSK offrir aux pays pauvres le brevet du vaccin contre le coronavirus, ou leur octroyer une grosse ristourne. «Les bénéfices en termes d'image seraient énormes», estime Nathalie Coutinet.

Si cette idée ne vient pas directement des laboratoires, elle pourrait leur être soufflée par les gouvernements. En particulier si le vaccin est trouvé en partie grâce à des financements publics. Les 193 pays de l'ONU ont en effet adopté la semaine dernière une résolution réclamant un «accès équitable» aux «futurs vaccins». L'objectif étant «de les rendre disponibles à tous ceux qui en ont besoin, notamment dans les pays en développement».

Dans le cas où les firmes ou laboratoires camperaient sur leurs positions et refuseraient d'offrir gracieusement le brevet aux pays à bas revenus, il y aurait toujours la possibilité pour ces Etats de recourir aux «licences obligatoires», une mesure juridique prévue par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) permettant en cas d' «urgence» d'utiliser un brevet sans l'accord du titulaire, moyennant tout de même une compensation financière. Le Chili a affirmé le mois dernier que la pandémie de Covid-19 justifiait l'application d'un tel mécanisme, suivi par Israël, l'Equateur, le Canada, l'Allemagne ou encore le Brésil.

Une course au leadership mondial

Mais les bénéfices économiques qu'un laboratoire peut espérer tirer de la découverte d'un vaccin ne doivent pas se voir seulement à l'aune des potentielles ventes. Il faut également regarder du côté de la Bourse. Lorsque l'on observe le bond de la valeur boursière des biotechs américaines Moderna et Inovio Pharmaceuticals depuis le début de l'année (respectivement +145 % et +315 %), alors qu'elles n'en sont qu'à la phase 1 des essais cliniques, on peut imaginer le gigantesque boost que leur apporterait l'annonce de la commercialisation d'un vaccin. 

Au-delà de ces enjeux financiers, la recherche d'un antidote au Covid-19 ressemble surtout, selon Nathalie Coutinet, à une bataille diplomatique entre les Etats-Unis, la Chine et l'Union européenne. A l'heure où Pékin tente de détrôner Washington de sa position de leader mondial, l'Europe apparaissant plus en retrait, la découverte d'un vaccin par un laboratoire de l'une de ces trois puissances pourrait être décisive dans cette course à l'hégémonie.

D'où les millions versés par les gouvernements aux laboratoires pour la recherche d'un vaccin. Dont les Etats-Unis, qui «semblent avoir très envie de gagner la course», s'amuse Nathalie Coutinet. Une référence à la tentative de Donald Trump mi-mars de s'approprier un projet de vaccin développé par un laboratoire allemand, CureVac. Une offre à laquelle le président américain s'est vu opposer une fin de non-recevoir par Berlin, soutenu par l'UE, qui a par la suite annoncé fournir une aide de 80 millions d'euros à la firme germanique. Même en pleine crise sanitaire exceptionnelle, la diplomatie ne prend pas de répit. 

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