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Hélène Romano, psychologue : «le 11-Septembre est un événement traumatique, c'est pour cela qu'on se rappelle précisément où on était»

Hélène Romano est docteur en psychopathologie. Selon elle, les images peuvent avoir été traumatiques pour une grande partie de la population mondiale. [© DR ]

Les commémorations du 11-Septembre font toujours remonter ce souvenir. Que faisait-on lorsque l'on a appris que les attentats avaient lieu sur le sol américain ? D'après Hélène Romano, psychologue notamment spécialisée dans le psychotraumatisme, il est parfaitement normal que le souvenir reste aussi vivace, même vingt ans après les faits.

Est-ce une réaction normale de se souvenir de ce que l'on faisait lorsque l'on a découvert le 11-Septembre ?

Tout à fait. C'est parce que c'est ce qu'on appelle un événement traumatique. Le trauma, ça fige, ça paralyse le temps dès que notre équilibre préalable est bouleversé. On n'a pas les ressources pour faire face. Et c’est pour cela qu’on est très nombreux pour le 11-Septembre, pour les attentats à Paris, pour ce genre de drame, à se rappeler précisément où on était à ce moment-là. 

Un événement traumatique est-il forcément négatif ? Beaucoup de Français savent de la même manière exactement ce qu'ils faisaient le soir de la Coupe du monde...

L'événement traumatique va me confronter violemment à quelque chose pour lequel psychiquement je ne suis pas prêt. Dans le psychisme, il y a une forme d'équilibre, plus ou moins stable, et il y a des évènements qui vont entraîner une rupture très violente. Souvent, on associe ça à la mort, mais une annonce de mariage, la Coupe du monde, la naissance de votre enfant, c'est quelque chose qui, psychiquement, fait effraction avec mes représentations habituelles.

Si par exemple j’ai un proche qui a un cancer et qui risque de décéder, j’ai anticipé les choses, je peux être bouleversée, mais ça n’est pas aussi destabilisant car j’y suis davantage préparé. La Coupe du monde, ça marque, mais ce n’est pas négatif. 

Est-ce qu'il faut apprendre à se protéger d'une manière ou faire un travail sur soi-même après un événement comme le 11-Septembre ? 

Ces événements traumatiques peuvent potentiellement devenir traumatisant.  C'est le cas s'ils entraînent des séquelles. C'est-à-dire que si depuis le 11-Septembre ou depuis d'autres drames, je n’arrive plus à dormir, j'ai des peurs constantes, je fais des cauchemars, je n'arrive plus à prendre l’avion... Si ça m'empêche de vivre là, ça devient un événement traumatisant. Il faut essayer, au plus vite, de mettre des mots sur ses ressentis. Le risque, c'est de dire on va oublier, passer à autre chose ou qu’on va réparer. Ça ne se répare pas, on apprivoise, on apprend à vivre avec, c'est possible. 

Est-ce qu'en cas de perte de sommeil ou d'autres symptômes, il faut directement aller consulter ? 

Si c’est trop compliqué parce qu'on est épuisé psychiquement, l'aide de quelqu'un peut être précieuse. Mais ce qui est important, c'est de ne pas tout psychiatriser. Une réaction anxieuse face à une situation très violente, c’est plutôt adapté puisqu'elle va m'amener à me protéger. Et puis on peut se retrouver chez un psy qui n'est pas du tout formé à cette question-là. Les psys ne font pas tout, les ressources principales sont vraiment liées à la personne elle-même.

L'on peut apprendre à gérer son angoisse, apprendre à gérer son stress, s’autoriser à en parler certaines fois. Il y a eu beaucoup de choses après les attentats, par exemple, qui ont été faites par des victimes, par des proches des victimes, qui avaient besoin de témoigner. 

En France et aux Etats-Unis, des procès ont lieu en rapport avec les attentats. Est-ce que cela peut réveiller le traumatisme ? 

Alors oui, les conséquences post-traumatiques peuvent se manifester tout de suite, dans les jours qui suivent, ça peut arriver tout d'un coup, ou se déclencher en particulier au moment des procédures. On sait que ce sont des temps de réactivation traumatogènes à risque pour les victimes, les proches. Que ce soit des procès médiatiques ou des procès lors de crimes familiaux. Ça peut réactiver parce qu'on va reparler des faits, on va montrer les photos, on va entendre les témoignages... Donc forcément, les gens vont être replongés cinq, dix, quinze, vingt ans en arrière. 

Lors du 11-Septembre, les gens ont appris la nouvelle tardivement, souvent devant le journal de 20h. En 2015, tout était en direct avec les alertes sur smartphone et les chaînes d'information en continu. Est-ce que cela change la manière de digérer le trauma ? 

Ça va changer beaucoup de choses. J'ai vu des évolutions avec l'arrivée des chaînes d'information en continu et le fait que les gens ont un accès à l'information via les réseaux aussi. La grande difficulté de l'information en continu, c'est que l'on est à T-0, et que l'on n'a pas le recul suffisant. Il n’y a plus ce temps d'élaboration.

Alors il y a un avantage, c'est qu'il y a probablement un accès à beaucoup d'éléments qu'on n'aurait pas eus s'il n’y avait pas les chaînes, mais le bémol, c'est que comme c'est du direct, ça s'accumule et on n'a pas le temps de terminer avec un sujet, on passe autre chose. Ça entraîne un impact plus fort sur les spectateurs.  

Et pour les enfants, comment faut-il gérer ces événements ?  

Il ne faut pas banaliser en disant qu’ils sont trop petits et qu’ils ne comprennent pas. L’enfant a sa propre façon de faire face au traumatisme. Après le 11-Septembre, je suis intervenue dans des écoles maternelles, les enfants me disaient qu'il y avait des "pleins d'avions", des milliers d'avions, alors qu’il n’y en avait que deux. Mais ils ont vu l'image des centaines de fois, donc un petit n’a pas la capacité de faire la part des choses. Ça peut être violent qu'il n'y a pas d'adultes à côté pour décrypter.

Il faut lui laisser la possibilité d’en parler. Quand il nous pose une question, il ne faut pas forcément répondre tout de suite pour le rassurer. On peut lui demander d’abord ce qu’il croit avoir compris des événements, pour ne pas répondre à côté de ce qu’il sait déjà.

 

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