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Iran : un mois de manifestations et une issue incertaine pour le mouvement

Une manifestation à Téhéran, le 19 septembre 2022. [AFP]

Voilà un mois que les Iraniens manifestent contre le régime après la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée à Téhéran par la police des mœurs. Entre espoirs de changements et répression meurtrière, l'issue du mouvement est incertaine.

La mort de Mahsa Amini, l'etincelle

Le 15 septembre, des défenseurs des droits de l'Homme ont rapporté que Mahsa Amini, une Iranienne kurde de 22 ans, était tombée dans le coma après avoir été arrêtée deux jours plus tôt à Téhéran par la police des moeurs. La jeune femme s'était vue reprocher le non-respect du code vestimentaire strict en vigueur en République islamique d'Iran, imposant notamment le port du voile. Mahsa Amini est décédée le lendemain à l'hôpital, le 16 septembre. 

La famille de la victime affirme qu'elle a reçu un «violent coup à la tête» lors de son arrestation et qu'elle a été «transférée tardivement à l'hôpital». De son côté, la police assure que la jeune femme a été «prise subitement d'un problème cardiaque» dans le commissariat. Une version appuyée par des images de vidéosurveillance diffusées par la télévision d'Etat.

Après l'ouverture d'une enquête demandée par le président iranien, un rapport médical officiel publié le 7 octobre a conclu que mort de Mahsa Amini était liée à une maladie du cerveau et n'a pas été causée par des coups.

des manifestations dans tout le pays

Mahsa Amini a été inhumée le 17 septembre dans sa ville natale de Saghez, dans la province du Kurdistan. L'une des toutes premières manifestations a alors éclaté avant d'être dispersée à coups de gaz lacrymogène. Le mouvement de protestation s'est ensuite progressivement étendu à tout le pays.

Sur les réseaux sociaux, les vidéos de femmes enlevant ou brûlant leur voile en signe de révolte se multiplient depuis plusieurs semaines. Bientôt rejointes par des hommes iraniens, les manifestantes protestent contre le régime ultra-conservateur du président Ebrahim Raïssi, parfois au cri de «mort au dictateur».

Le mouvement touche toutes les couches de la société. A l’université pour filles Al Zahra de Téhéran, les étudiantes ont accueilli le président Raissi venu visiter l'établissement en criant : «Raissi casse-toi !» ou «A bas l'oppresseur !». En octobre, la contestation s'est encore durcie avec le déclenchement de grèves aux quatre coins du pays, notamment dans le secteur pétrochimique.

Dans la rue, le slogan «Femme, vie, liberté» est devenu un signe de ralliement pour tous les manifestants opposés au pouvoir. Le mouvement a reçu le soutien de nombreuses personnalités, comme des footballeurs de la sélection iranienne, ou encore des actrices françaises qui se sont coupé une mèche de cheveux en hommage à Mahsa Amini.

Si une majorité des Iraniens dénoncent les abus de la réglementation en matière de mœurs, des contre-manifestations ont aussi eu lieu pour défendre le port du voile, soutenir les forces de l'ordre et fustiger les «comploteurs» qui déstabilisent le pays.

une répression meurtrière

Les manifestations ont été violemment réprimées par les forces de l'ordre iraniennes, conformément à la volonté du président Raïssi de réagir «fermement» à la protestation. Sur les réseaux sociaux, des vidéos montrent des policiers tirer à balles réelles sur des civils et des manifestants être roués de coups.

Dans certaines villes, les rassemblements ont tourné à l'affrontement généralisé. Les Iraniens n'hésitent plus à s'en prendre aux forces de l'ordre ou à s'attaquer aux bâtiments gouvernementaux.

Au total, 108 Iraniens ont perdu la vie dans les manifestations, selon un bilan de l'ONG Iran Human Rights (IHR) daté du 12 octobre.

Les autorités ont indiqué avoir interpellé plus de 1.200 personnes qualifiées d'«émeutiers». Parmi eux se trouvent des militants, des avocats et des journalistes, d'après plusieurs ONG.

La répression se fait aussi en ligne. Le 22 septembre, l'Iran a bloqué l'accès à Instagram et à WhatsApp, les deux applications les plus utilisées dans le pays.

le régime dénonce un complot

Face à cette vague de manifestations inédite depuis celles de 2019 contre la vie chère, le régime ne fléchit pas et défend la thèse d'un complot international.

«Alors que la République islamique était en train de surmonter les problèmes économiques pour devenir plus active dans la région et dans le monde, les ennemis sont entrés en jeu avec l'intention d'isoler le pays, mais ils ont échoué dans cette conspiration», a déclaré le président Raïssi.

Le Guide suprême Ali Khamenei, qui a le dernier mot dans les grandes politiques de l'Etat, accuse les «ennemis» de l'Iran, les Etats-Unis et Israël en tête, d'avoir fomenté le mouvement de contestation avec leurs «agents». Le régime a d'ailleurs annoncé l'arrestation de plusieurs étrangers en lien selon lui avec la contestation.

L’inflexibilité du pouvoir iranien lui attire les foudres des Occidentaux. Alors qu'il est déjà la cible de mesures punitives liées au nucléaire, les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni ont annoncé de nouvelles sanctions visant les responsables iraniens impliqués dans la répression. L'Union européenne devrait suivre bientôt.

et après ?

Après un mois de manifestations, difficile de prédire l'avenir. Si le mouvement révèle une aspiration profonde des Iraniens pour plus de libertés individuelles, aucune traduction politique de leur colère n'est pour l'instant possible.

«Le Guide suprême Ali Khamenei ne dévie pas d'un pouce de sa ligne répressive et les forces progressistes sont inaudibles depuis la reprise en main du régime par les ultra-conservateurs en 2021», décrypte pour CNEWS Thierry Coville, chercheur à l'IRIS et spécialiste de l'Iran.

Selon lui, si le régime semble dans l'impasse, le changement pourrait venir de l'intérieur du camp conservateur. «Des voix commencent à s'élever pour mettre en garde contre l'"extrémisme" du régime. L'ancien président du parlement Ali Laridjani appelle par exemple à repenser le rôle de la police des mœurs dans la société», souligne le chercheur.

Du côté de la population, tout porte à croire que la contestation va se poursuivre. Exaspérés par la crise économique et les obsessions morales du régime, de nombreux Iraniens - notamment les jeunes - estiment n'avoir plus rien à perdre. 

«C'est un mouvement très profond soutenu par une grande majorité de la population. Mais on n'a pas pour l'instant des manifestations de masse comme on a connu en 2009 au moment du "mouvement vert". Il faudra voir comment ça évolue, notamment regarder si les grèves se généralisent dans le secteur pétrolier ou ailleurs», estime notre expert.

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