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Les difficultés d’une réforme, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani.[Alexis Reau]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

En présentant ses vœux aux Français, François Hollande a confirmé le contenu de son discours prononcé le 16 novembre 2015 devant le Congrès, au lendemain des attaques qui ont ensanglanté Paris et conduit à l’instauration de l’état d’urgence. Discours applaudi debout par l’ensemble des parlementaires réunis à Versailles, droite et gauche confondues. Cette belle et nécessaire unité n’est plus qu’un lointain souvenir ! En cause, l’annonce par le président qu’il inclurait, dans le projet de réforme constitutionnelle qu’il veut soumettre au Congrès, une disposition prévoyant la déchéance de nationalité pour les binationaux définitivement condamnés pour terrorisme.

Le projet consiste à insérer dans la Constitution un dispositif de crise, un état de crise donnant à l’Etat les moyens juridiques de faire face au terrorisme, qui ne soit ni l’article 16 de cette Constitution (qui donne tous pouvoirs au président de la République), ni l’état de siège (qui transfère le pouvoir à l’armée), deux dispositifs conçus pour faire face à des temps de guerre civile. Dans l’esprit de François Hollande, il s’agit de créer un état d’urgence adapté. Le texte présenté par le gouvernement doit obtenir une majorité des trois cinquièmes au Congrès et ne peut être adopté qu’avec le soutien d’un nombre suffisant de parlementaires de l’opposition. Au sein de celle-ci, hormis Alain Juppé (qui a aujourd’hui la faveur des Français en vue de l’élection présidentielle), la question est moins de se prononcer sur l’utilité de cette réforme que d’éviter de la voter pour ne pas donner la main au président, de peur de renforcer ses (faibles) chances de réélection.

A gauche, a surgi une nouvelle fronde cristallisée contre le dispositif de déchéance de nationalité. Trois reproches sont mis en avant : n’avoir une portée que symbolique ; créer une discrimination entre les binationaux et les autres ; et surtout inscrire cette disposition dans la Constitution. Le président fait face à une levée de boucliers de plus de soixante-dix organisations non gouvernementales, dont des syndicats, mais aussi des élus ou d’anciens élus de gauche et même des membres du gouvernement sous couvert d’anonymat. Certains proposent de substituer à la déchéance de nationalité une «peine d’indignité nationale», la privation de tous les droits, qui aurait l’avantage, selon l’avocat Jean-Pierre Mignard (président de la Haute autorité d’éthique du PS et très proche de François Hollande) d’éviter de toucher au code de la nationalité.

Le président est pris entre deux feux. A droite, ceux qui trouveront qu’il ne va pas assez loin, si bien que la déchéance de nationalité risque de ne pas être la clé d’un vote majoritaire de la droite au Congrès. A gauche, ceux qui lui reprochent d’aller trop loin et voudraient se saisir de l’occasion pour réinstaller l’idée d’une primaire à gauche. A droite et à gauche, on se mobilise contre «un coup politique», selon l’expression d’Alain Juppé. Mais en face, si l’on peut dire, il y a les Français eux-mêmes : le projet présidentiel est soutenu par une écrasante majorité de l’opinion (85 %), toutes tendances confondues, y compris chez les électeurs de la gauche (80 %) et de l’extrême gauche (64 %).

Le président et son Premier ministre ont choisi la voie parlementaire : libre aux députés et sénateurs d’amender. C’est une façon de les mettre devant leurs responsabilités mais aussi, pour le président, de se donner une voie de sortie possible. La sagesse serait de se contenter de la loi et d’ajouter à celle qui existe sur la déchéance de la nationalité. Cela éviterait de couler dans le marbre constitutionnel une disposition qui touche au code de la nationalité et pourrait devenir dangereuse si le pouvoir venait un jour à être confié à de vrais faux républicains…

Jean-Marie Colombani

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