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Comment les festivals et salons culturels tentent de surmonter la crise économique liée à l’épidémie ?

Le Hellfest festival, qui a réuni 180.000 personnes l'an passé, doit trouver les ressources pour tenir malgré une année blanche. [© Sebastien SALOM-GOMIS / AFP]

En pleine crise du Covid-19, l’interdiction des grands rendez-vous culturels jusqu’à mi-juillet a eu l’effet d’un coup de tonnerre. Les annulations de festivals et de salons se sont multipliées, avec des conséquences financières lourdes auxquelles tentent de faire face les organisateurs.

Entre appel de soutien à l’Etat, recours difficiles aux assurances, mais aussi incitation au report des éditions plutôt qu’aux annulations, chacun tente de trouver une issue pour limiter les pertes financières colossales qui pourraient conduire les plus petits festivals à la faillite.  

Un soutien de l’état et des subventions maintenues

Depuis l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes, suivie rapidement du confinement de la population, le secteur de la culture subit de plein fouet les effets liés à l’épidémie de coronavirus. Peu après l'allocution d'Emmanuel Macron, le ministre de la culture Franck Riester a annoncé : «La mobilisation du ministère de la Culture ne faiblira pas. Nous serons aux côtés de tous les acteurs culturels et mettrons en place un plan spécifique annoncé par Emmanuel Macron».

Les aides pour soutenir l’activité partielle des salariés et le maintien des subventions accordées par les collectivités territoriales figurent notamment parmi les demandes de certains organisateurs pour supporter le coût de cette année blanche. Jean-Paul Durand, directeur des Eurockéennes (128.000 spectateurs en 2019), a expliqué à l’AFP, le 14 avril, qu’il fallait «le maintien des subventions des trois collectivités locales, une aide à l'activité partielle prolongée jusqu'à la fin de l'année et compter sur notre banque mécène, qui saura nous écouter». 

Une mesure prise en l’occurrence par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui devait accueillir d'importants festivals annulés cette année, à commencer par celui d'Avignon. La région PACA s'est ainsi engagée à maintenir toutes les «subventions votées» aux structures culturelles, ainsi qu'à mettre en place un fonds d'aide exceptionnel de 5 millions d'euros pour le secteur.

Ces subventions pourraient ainsi aider certains festivals, tels que les Eurockéennes ou encore le Festival In d’Avignon, à relever la tête, alors que la crise survient après une phase de réductions des subventions publiques allouées aux festivals. Les revenus des grands rendez-vous musicaux, à l’instar des Vieilles Charrues de Carhaix ou encore du Hellfest de Clisson, proviennent en effet essentiellement des recettes de leur billetterie. Ainsi, sur un budget de 20 millions, le Hellfest ne perçoit que 15 000 euros de subventions du département de Loire-Atlantique, et il compte donc sur le soutien de son fidèle public pour maintenir le cap.

Le report des billets plutôt que l’annulation 

Ne pas basculer dans le rouge est évidemment la préoccupation de tous. Dans ce contexte, dès le 14 mars, le Syndicat national des entrepreneurs du spectacle (SNES) tirait la sonnette d’alarme et lançait les hashtag #sauveTonSpectale et #reporteTaVenue. Une initiative qui conseillait aux spectateurs de conserver leurs places, plutôt que de demander le remboursement de leurs billets, une façon de préserver autant que possible la trésorerie. Dans cet esprit, les Vieilles Charrues (270.000 spectateurs en 2019), le Main Square, à Arras, ou encore le Hellfest ont annoncé que les billets de 2020 resteraient valables en 2021. Et si ces rendez-vous majeurs rembourseront les spectateurs qui en font la demande, le report des billets sur l’année prochaine peut leur offrir une bouffée d’oxygène financière. 

Une approche confirmée par Thomas Sirdey, co-fondateur et co-organisateur de la Japan Expo, le troisième plus grand salon en France, entièrement privé, qui ne bénéficie d’aucune subvention de l’Etat, et ne dépend que des ventes de stands et de ses billets : «Reporter les billets sur l’année prochaine, que ce soit pour les visiteurs mais aussi les exposants ou les prestataires, c’est la solution la plus saine pour passer ce cap.  C’est autant de petites pierres à l’édifice qui permettent de tenir. La culture a rarement de réserves. Il ne faut pas oublier que c’est tout un écosystème, tout le monde dépend de tout le monde. Mais si chacun joue le jeu du report, en fonction de ses possibilités évidemment, cela permettra au monde de la culture de poursuivre ses missions. On espère que tout le monde va tenir le choc », explique-t-il,  avant d'ajouter qu'évidemment, les billets seront remboursés à ceux qui le demandent. 

«Cette annulation va nous faire du mal, mais je suis très confiant dans notre capacité à rebondir», précise ce dernier, alors que le festival vient d’annoncer qu’il se tiendra du 15 au 18 juillet 2021. Et d'ajouter qu'«entre l’activité partielle, les prêts des banques garanties par l’Etat qui vont nous permettre d’absorber les coûts de cette année blanche sur plusieurs années, même si c'est à nous de les rembourser, et nos fonds propres, nos équipes sont déjà en train de travailler à l’après. Cela se fait dans l’inquiétude mais aussi avec optimisme».  

Des recours aux assurances incertains 

Comme tout le monde, les festivals, salles de spectacle ou salons ont aussi recours aux services d’assurances et souscrivent des contrats en fonction de leurs besoins. Mais récemment la fameuse mention «tout sauf», a fait l’actualité. Alors que le gouvernement a demandé aux banques et aux assurances de faire un effort, les relations entre les organisateurs d’événements et leurs assureurs se sont tendues. Tout le monde a à l’esprit le conflit qui a éclaté entre le Hellfest et son assureur Albingia. Ce dernier a fait savoir au fondateur et directeur du festival qu’il ne couvrirait pas les pertes liées à l'annulation du festival du fait de l'épidémie de coronavirus. La raison invoquée par Laurent Claus, directeur technique d’Albingia, dans une interview accordée à l’Argus de l’assurance : «La police d’assurance souscrite, stipule, mais c’est le cas de toutes nos polices d’assurance en risques spéciaux, que les pertes pécuniaires résultant de pneumonies atypiques de type SraS (Syndrome respiratoire aigu sévère) sont "toujours" exclues». Une décision qui a fait voir rouge les organisateurs du Hellfest, qui avaient souscrit une assurance incluant les risques de pandémie, et les ont poussé à assigner leur assureur en justice.

A lui seul, cet exemple illustre toute la complexité de la situation. De son côté, la présidente de la Fédération des assurances, Florence Lustman, expliquait ainsi, sur le site de la Fédération, dans une tribune publiée début avril : «Beaucoup s’interrogent sur notre rôle dans cette crise et nous demandent d’aller très au-delà de ce à quoi nous nous sommes engagés. Les autorités d’assurance européennes et américaines viennent d’ailleurs de le rappeler : obliger les assureurs à couvrir rétroactivement des risques non couverts dans leurs contrats exposerait le secteur à des risques d’insolvabilité, qui fragiliseraient la protection des assurés, la stabilité des marchés, et aggraverait in fine la crise actuelle». 

Il est donc, selon elle, indispensable que les assureurs tiennent le choc, sous peine d’aggraver considérablement la crise actuelle. 

D’autant que comme l'indiquait le 15 avril Jérôme Tréhorel, directeur des Vieilles Charrues, le festival finistérien aurait préféré s'appuyer sur un arrêté rendant les contrats nuls et non avenus. Les Vieilles Charrues auraient ainsi pu se désengager sans frais.  

Des éditions virtuelles ou inventives pour faire vivre la culture malgré tout 

Garder le contact avec le public malgré tout. C’est le choix qu’a fait le Printemps de Bourges, qui depuis le 21 avril et jusqu’au 26 offre une version en ligne baptisée «Un Printemps imaginaire». Des éditions qui permettent de conserver le lien avec le public, mais qui ne rempliront pas les caisses pour autant.

De la même façon, le festival du cinéma romantique de Cabourg a annoncé vouloir mettre en place une édition spéciale, en août. «On avance un peu au jour le jour, mais nous n’avons jamais pensé à une annulation pure et simple», explique Suzel Pietri, déléguée générale du festival. Après avoir étudié tous les scénarii possibles – report d’un mois qui aurait conduit le festival à se tenir du 15 au 22 juillet avec de nombreuses incertitudes quant à la réouverture des salles de cinéma, un report en novembre qui aurait coûté plus cher – le festival fait tout pour essayer de décliner ses séances de Ciné-plage, en séances de Drive-in pour le mois d’août. «Une approche qui assurerait un maximum de sécurité», juge la déléguée générale.

Une façon aussi, selon Suzel Pietri, de faire vivre la culture malgré tout et de respecter son devoir vis-à-vis du public, des professionnels du cinéma et de tous les partenaires financiers qu’ils soient privés ou publics. Mais chaque événement fait «comme il peut», insiste-t-elle. « Comme on pouvait sauver un cinquième du festival, on l’a fait. Le festival s’en sortira car, comme en voile, on peut décider de baisser la voilure ou de mettre le spi. Et s'il le faut, nous baisserons la voilure pour avoir un coût structurel moindre, mais ce n’est par exemple pas possible pour les musées. Mon inquiétude, c’est de savoir à terme si les gens vont retourner dans les salles. Tout le secteur de la culture va être profondément bouleversé. C’est là où l’Etat doit intervenir, car la culture, c’est aussi important que la santé. Après le travail incroyable des soignants, c’est à nous, à la culture de se tenir en ordre de marche pour faire rêver, deux fois plus. La culture, c’est dans l’ADN de la France. Elle doit pouvoir s’incarner dans un musée, dans les salles de spectacle, de cinéma. Il faut trouver des solutions pour aider au mieux tous les acteurs de la culture. Il faut être inventif. C’est plus facile pour nous que pour des rendez-vous qui regroupent 20 000 personnes par soir». 

Des reports à l’automne quand cela est possible

D’autres rendez-vous, assez peu nombreux certes, ont quant à eux fait le choix de simplement reporter leurs dates, à l’automne quand cela était possible. C’est le cas du Festival Montpellier Danse, grand rendez-vous de la danse contemporaine, qui devait fêter ses 40 ans du 20 juin au 8 juillet, et qui a reporté la quasi-totalité de sa programmation de septembre à décembre. Alors que le confinement se prolongeait, son directeur Jean-Paul Montanari a, en effet, eu l’idée avec son équipe d’offrir une version automnale de Montpellier Danse.

Un report rendu possible grâce à l'aide et la solidarité des responsables de salles et théâtres à Montpellier, notamment l'Opéra Comédie, le Corum ou encore le Centre dramatique national. Une option impossible à envisager pour d'autres, à l'instar des grands festivals de musique, dont les tournées européennes des artistes sont bouclées très en amont et ont été contraints de renoncer à l’éventualité d’un report.

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