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Manga : avec Arion, NaBan offre un retour mérité au grand Yoshikazu Yasuhiko

Arion est le héros de ce manga en trois tomes, à la fois sublime et bouleversant. [© YOSHIKAZU YASUHIKO / Tokuma Shoten Co., Ltd]

C'est un beau bébé qui débarque dans les librairies ce vendredi 21 juillet. Le premier tome d'Arion, le fabuleux manga signé Yoshikazu Yasuhiko, arrive enfin en France. Un titre datant des années 1980 et qui s'est fait désirer par les fans de cet immense artiste, auteur de Gundam The Origin.

Une édition disparue au Japon depuis 1986, des planches à répliquer, une traduction en français inédite et 416 pages dans un format maousse de 18 par 26 cm pour le seul premier tome des trois prévus... La parution ce vendredi 21 juillet du manga Arion témoigne de l'ampleur et de l'aboutissement d'un projet qu'on ne peut, sans doute, voir réaliser que par des Français passionnés.

Surtout, l'arrivée de ce manga, inspiré par la mythologie grecque, représente une forme de retour en grâce de Yoshikazu Yasuhiko - Yas pour les intimes -, mangaka et animateur star au Japon, mais dont la plupart des mangas ont été boudés en France. La faute à l'absence de communication autour de cet homme de 75 ans, talentueux, discret, mais aussi influent.

Un récit sombre et passionnant

Il faut le souligner, Arion n'est pas totalement un héros inconnu en France. Edité en K7 vidéo puis en DVD au début des années 2000, ce film impressionnant de deux heures est aujourd'hui présent en Blu-ray chez Dybex. Sortie au Japon en 1986, après la publication en manga entre 1979 et 1984, cette œuvre nous expédie au cœur de la Grèce antique où le jeune Arion, présenté comme le fils des dieux Déméter et Prométhée, est enlevé par Hadès. Elevé comme un guerrier, Arion est alors éduqué dans la haine de Zeus et de Poséidon dans le but de les tuer. Mais son combat évoluera à travers une tragédie qui l'amènera à défier l'Olympe. De cette odyssée, Yoshikazu Yasuhiko en tira un manga à la fois sombre et passionnant, qui obtint un succès tel qu'il poussa donc les studios à commander un long-métrage d'animation sublime.

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© YOSHIKAZU YASUHIKO / Tokuma Shoten Co., Ltd

Surtout, Yoshikazu Yasuhiko avait déjà une solide réputation dans l'archipel nippon. De Yas, vous connaissez peut-être les personnages de la saga Gundam, de Venus Wars ou encore de Crusher Joe, qui se sont distingués dans le secteur de l'animation. Et pourtant, ce chara designer star est aussi un mangaka émérite, dont chaque planche est vénérée par les fans.

En France pourtant, l'homme est resté dans l'ombre trop longtemps. Les fins connaisseurs l'avaient repéré à l'aube des années 2000 lorsque les éditions Tonkam avaient publié ses adaptations de Jeanne d'Arc ou de Jésus, passées totalement inaperçues. C'est surtout la publication chaotique des 24 tomes de Gundam The Origin, entre 2006 et 2018 chez Pika, qui finira d'enterrer sa percée en France. Un chef d'œuvre populaire au Japon qui fit un bide malheureux dans nos contrées, alors que la franchise Gundam avait du mal à trouver son public.

Un retour par la grande porte

Aussi, lorsqu'en 2022 les éditions NaBan annoncent l'acquisition des mangas Arion et Venus Wars, la nouvelle fait l'effet d'un coup de tonnerre chez les fans et la caisse de résonnance offerte par les réseaux sociaux offre un coup de projecteur inattendu. Entre Yas et les mangavores français, c'est donc l'histoire d'un rendez-vous râté que Christophe Geldron, directeur de NaBan Editions, entend réparer avec la parution d'Arion cet été, et du manga Venus War au printemps 2024.

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© YOSHIKAZU YASUHIKO / Tokuma Shoten Co., Ltd

«Lorsque Gundam The Origin est arrivé en France, je pense que les lecteurs de mangas n'ont pas pu comprendre l'importance que cet auteur a eu sur la saga Gundam. Il n'y a jamais vraiment eu de communication sur son passé ni son influence», analyse-t-il pour CNEWS. Un avis partagé par Ludovic Gottigny, journaliste expert en culture japonaise qui a fait découvrir à Christophe Geldron cette édition d'Arion : «le moment semble propice d'inverser la tendance et de saluer sa carrière comme il se doit. Nous avons ici l'opportunité de (re)découvrir Arion dans son édition deluxe japonaise grand format, qui n'a pas été rééditée au Japon depuis sa sortie. C'est vraiment unique en ce sens qu'elle offre aux lecteurs français le privilège singulier de s'immerger de la meilleure manière possible dans le travail graphique et narratif de cet immense artiste, qui revient enfin en France par la grande porte !»

Le projet d'éditer enfin Arion en France a commencé en 2020. «Ludovic Gottigny m'avait fait découvrir cette édition en grand format parue en 1986 au Japon pour la sortie du film. Toutefois celle-ci n'a jamais été rééditée depuis au Japon et elle était perdue. On a donc essayé de faire un quasi fac-similé de cette édition, sauf la couverture. Les planches n'étant pas trouvables chez l'éditeur japonais, nous avons dû scanner l'ensemble à partir de l'édition que nous avions, s'enthousiasme Christophe Geldron. Ce travail a été mené par Karim Talbi, un habitué de ce type de travaux et ancien d'Isan manga. Il a fait ça pendant 10 ans. Donc j’avais confiance. Parallèlement, nous avons travaillé avec le lettreur Florent Faguet, pour être assez proche de la typographie japonaise. On a conservé notre typo à nous, mais il y a parfois une typo manuscrite surtout avec les noms des dieux. Là nous nous sommes inspirés d'une typo très tranchante de la version japonaise pour la mettre dans les bulles. Et puis nous avons mené un travail sur la jaquette, car on ne disposait pas des mêmes éléments de la couverture originale. On a pris le parti de prendre une des illustrations du volume qui nous semblait la plus représentative».

L'auteur fait la démonstration d'une remarquable érudition tout au long de son œuvre.Jean-Philippe Dubrulle, traducteur d'Arion

Parallèlement, cette édition française bénéficie du regard averti de Jean-Philippe Dubrulle, traducteur et grand spécialiste de cet auteur puisqu'il est aussi l'un des traducteurs officiels de l'univers Gundam dans la langue de Molière. «L’ancrage du récit de Yas dans la mythologie m’a surtout facilité la tâche pour retrouver l’étymologie des noms et les orthographier de la manière la plus exacte. En effet, l’auteur fait la démonstration d’une remarquable érudition tout au long de son œuvre, notamment concernant la géographie de la Grèce et des régions alentour. Cela dit, Yas n’hésite pas à inventer certains noms (au point que j’ai dû lui faire confirmer l’origine de certains, quarante ans après !), voire même à changer les relations entre des personnages bien connus de la mythologie, confie Jean-Philippe Dubrulle à CNEWS.

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© YOSHIKAZU YASUHIKO / Tokuma Shoten Co., Ltd

Et de poursuivre : «Ces libertés permettent à l’auteur de déployer son récit dans le «vieux pot» que constituent les mythes grecs, avec cependant toujours l’intention de montrer une certaine «crudité» de la mythologie, comme il l’explique dans la fascinante interview donnée en bonus du tome 1 du manga. C’est ainsi qu’il dépeint Hadès en ermite, hirsute et mal fagoté, ou encore Zeus en vieil homme, faible, peureux et paranoïaque – à rebours des représentations plus héroïques et rayonnantes auxquelles nous sommes habitués».

Le film de 1986 a également été un apport crucial dans la traduction de cette œuvre, et le traducteur de préciser : «En dépit d’importantes différences entre les deux versions, ce film m’a aidé à mieux cerner où Yas souhaitait aller… et à restituer dans le manga certains non-dits très importants !»

Il comparait le fait de travailler dans l'animation au Japon à la situation d'un ouvrier sur une chaîne d'assemblageLudovic Gottigny, spécialiste de la culture japonaise

Arion, c'est aussi un tournant dans la carrière de cet auteur, venu de l'animation et qui mit toute son énergie et son talent dans ce premier manga comme le rappelle Ludovic Gottigny : «bien qu'il soit à la base un animateur, character designer et un illustrateur particulièrement respecté au Japon, Yasuhiko s'était toujours rêvé mangaka. L'animation, pour lui, c'était au fond une voie de garage, une orientation par défaut. Il s'y sentait à l'étroit et il estimait que l'animation industrielle japonaise souffrait de la comparaison avec la full animation à la Disney. Il comparait le fait de travailler dans l'animation au Japon à la situation d'un ouvrier sur une chaîne d'assemblage en usine, quand les mangakas, eux, étaient d'authentiques artistes accomplis. Assez vite, il tente de percer dans le manga en soumettant un récit à la revue avant-gardiste GARO au début des années 1970, mais sans succès. Il se laisse ensuite happer par l'enchaînement des projets animés qui l'aident à faire bouillir la marmite de sa petite famille.»

la révolution de l'illustration narrative

C'est finalement «l'accumulation des frustrations et des lassitudes qui vont l'amener à reconsidérer son avenir», explique Ludovic Gottigny. Et d'ajouter : «à l'époque où il n'est encore qu'animateur, Yasuhiko est déjà considéré comme un virtuose capable de tout faire, et c'est pourquoi il a rapidement évolué vers d'autres métiers comme le storyboard, la mise en scène et le character design. Dans le même temps, Yas s'est révélé comme l'un des tous meilleurs illustrateurs japonais car son trait ne rentrait dans aucune case. Sa touche était éminemment personnelle, et il émanait de ses compositions graphiques un dynamisme et une vitalité incroyables. Il n'avait aucune envie d'émuler un style à la mode. Sa façon de gérer la mise en couleur avec la peinture à l'huile a fait école également, et c'est peut-être l'unique influence qu'il concède, celle de Frank Frazetta en l'occurence.»

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© YOSHIKAZU YASUHIKO / Tokuma Shoten Co., Ltd

De là naquit la réputation d'un illustrateur hors pair pour Yas, dont l'influence va grandir à un point tel qu'il va fasciner de nombreux auteurs prestigieux, de Katsuhiro Otomo (Akira) à Naoki Urasawa (20th Century Boys) notamment. «Yoshikazu Yasuhiko, c’est d’abord un animal de technicité. L’expressivité de ses personnages, leurs mouvements parfaitement gracieux… Il arrive à véhiculer tout un tas d’émotions via l’animation, au point de donner au robot Gundam toutes les caractéristiques graphiques d’un personnage de chair et d’os. Cette maîtrise technique de Yas aura principalement deux conséquences : la première, c’est de lui ouvrir les portes du monde du manga ou de la création d’œuvres animées ; la seconde, c’est bien entendu l’influence qu’il aura sur des générations d’animateurs, tant en matière de dessin que de mouvement à l’écran. Naoki Urasawa, l’auteur acclamé de Monster, lui a d’ailleurs consacré un numéro de son émission Manben, et ne cache pas son admiration devant la maestria de Yas, qui dessine une page entière de manga complexe sans aucune forme de brouillon !», témoigne Jean-Philippe Dubrulle.

«C'est lui qui a révolutionné l'illustration dite "narrative" dans le secteur de l'animation au Japon, renchérit Ludovic Gottigny. Il est arrivé au moment où un besoin croissant d'illustrations apparaissait pour des couvertures de magazines, des jaquettes de vidéo ou de vinyles, à une époque où l'industrie japonaise ne prêtait pas encore attention à ce type de supports dérivés. Les illustrations réalisées par Yasuhiko auront un écho formidable dans toute la pop culture nippone.»

Un manga né d'un concours

Et c'est d'ailleurs un concours entre des stars naissantes de l'animation qui fit basculer Yasuhiko dans le manga, grâce à Arion, dont la création s'est jouée sur un coup du sort. Ludovic Gottigny le rappelle : «Animage, la célèbre revue qui organisait l'Anime Grand Prix, offrait à l'animateur sacré par ses lecteurs de dessiner un court manga d'une vingtaine de pages au sein du magazine. En 1979, Yas était arrivé en tête du référendum devant Shingo Araki (Lady Oscar, Les Chevaliers du Zodiaque), et il sera d'ailleurs très largement en tête du classement pour les quatre années qui suivent. Le character designer de Gundam saisit cette occasion pour recycler un script qu'il avait rédigé pour un projet de TV Special animé mort-né, développé par Yoshinobu Nishizaki (producteur sulfureux de Uchû Senkan Yamato)».

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© YOSHIKAZU YASUHIKO / Tokuma Shoten Co., Ltd

«Un récit de genre fantastique sur un cheval devenu garçon qui puise allègrement dans La Mythologie Grecque, ouvrage de vulgarisation de référence signé Shigeichi Kure dans lequel il est notamment question d’Arion, un cheval divin qui parle le langage des humains. Pris au jeu, et soucieux de mettre le pied dans la porte, Yasuhiko s'est débrouillé pour convaincre Tokuma Shoten (la maison d'édition d'Animage) de lui permettre de lancer un authentique manga sérialisé sur le sujet», précise-t-il.

Dans l'ombre de Gundam

La prépublication d'Arion va donc commencer dans le premier numéro de Comic Ryu, nouvelle revue lancée par Tokuma, en mai 1979. «Mais l'homme doit aussi mener parallèlement un autre projet et pas des moindres : Gundam, qui avait entamé sa diffusion le mois précédent, rappelle Ludovic Gottigny. Il n'aura pas fallu longtemps pour que ce volume de boulot le conduise au burn out, mais cette remise en question avait eu le mérite de recentrer ses objectifs. Il allait terminer Gundam, et en dehors de projets animés ambitieux dont il tiendrait lui-même les rennes en tant que réalisateur (Crusher Joe, Giant Gorg, Kaze to ki no uta - Sanctus, Venus Wars, Arion, les OAV Gundam The Origin...), s'engouffrer à jamais dans la voie du mangaka», souligne Ludovic Gottigny. Et Jean-Philippe Dubrulle d'ajouter : «En clair, Yoshikazu Yasuhiko passe alors du statut d’exécutant – aussi talentueux soit-il – à celui d’auteur».

Arion fit grand bruit dans l'industrie lors de sa parution.Ludovic Gottigny

Un auteur qui ne va d'ailleurs pas hésiter à casser les codes narratifs et techniques de l'industrie du manga. «Arion fit grand bruit dans l'industrie lors de sa parution car son style graphique et sa mise en page étaient clairement d'un genre nouveau, avec une façon de représenter le mouvement qui tenait davantage de la décomposition de la gestuelle en animation que des standards habituels du manga. Cette façon de dessiner le cœur du mouvement, de manière très cinématographique, sera d'ailleurs théorisée sous le nom de "motion comics". Il va aussi purger ses planches des gimmicks habituels que sont les lignes de restitution de la vitesse et autres effets de manche graphiques, utilisant également les trames d'une façon très personnelle», constate Ludovic Gottigny.

«Yas se situe à l'écart de la sphère d'influence très éditorialisée et purement commerciale du milieu. Inui to Tatsumi, le manga qu'il dessine encore à bientôt 76 ans dans Afternoon (9 volumes à ce jour) et qu'il a annoncé comme étant son tout dernier ouvrage de mangaka, n'a perdu aucune des qualités constitutives de ses débuts, celles qui ont fait de lui un auteur résolument en marge et toujours révéré comme un maître absolu. Celles d'un conteur d'histoires sans égal, un humaniste doublé d'un artiste engagé à la plume acérée», s'enthousiasme-t-il.

Tandis que Jean-Philippe Dubrulle décrit un auteur qui «ne perd jamais cet émerveillement très enfantin qui stimule la créativité». «Mais c’est avant tout un artisan, un auteur qui se retranche dans son atelier pour s’exprimer avec son crayon. Un bonheur pour nos yeux à tous», conclut-il.

De son côté, Christophe Geldron, très fier d'avoir pu réaliser cette édition française, amorce également la traduction d'un autre chef d'œuvre de Yas : Venus Wars. «Nous avons pour ambition de réaliser une édition ultime en deux gros volumes au format B5, comme Arion. Le but étant d'offrir une forme d'édition signature autour de cet auteur dont nous souhaitons publier peut-être d'autres œuvres par la suite».

Arion, de Yoshikazu Yasuhiko, éd. NaBan, tome 1 sur 3 disponible.

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