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Régionales : l'épineuse alliance gauche-verts en Ile-de-France

[© LOIC VENANCE / AFP]

S'il y a un mot que tout le monde a à la bouche en ce moment à gauche, c'est «rassemblement». S'il venait à se concrétiser, il pourrait offrir une chance de victoire face à la droite morcelée. Mais le concept peine encore à se matérialiser en vue des régionales en Ile-de-France. Car pour s'unir, outre la volonté commune de battre la sortante Valérie Pécresse, deux équations doivent être résolues, sur le fond et la forme. Le programme et l'incarnation.

En région parisienne, quatre «mouvements» se sont alignés sur la ligne de départ pour l'élection prévue – pour le moment – en mars prochain : Ile-de-France en Commun (qui propulse Audrey Pulvar, soutenue par le Parti socialiste), le Printemps Ile-de-France (lancé par le Parti communiste), Ile-de-France Populaire (La France insoumise) et Europe Ecologie Les Verts avec Julien Bayou. Un chiffre trop élevé qui fait planer le péril de la désunion et d'une nouvelle défaite face à la favorite de droite, Valérie Pécresse.

«Ces quatre appels ne sont pas contradictoires, au contraire, ils sont complémentaires», soutient auprès de CNews Céline Malaisé, présidente du groupe communiste au conseil régional, et l'une des premières signataires de l'appel du «Printemps Ile-de-France». «Nous avons tous l'écologie comme socle et la justice sociale comme colonne vertébrale», accentue Rachid Temal, sénateur PS du Val-d'Oise. Ce proche d'Audrey Pulvar, qui a aussi signé l'appel «Printemps Ile-de-France», fait savoir que des discussions sont en cours avec les communistes, les radicaux de gauche et Place publique.

D'ailleurs, malgré le soutien du Premier secrétaire Olivier Faure, dans l'entourage de l'actuelle adjointe à l'agriculture d'Anne Hidalgo, on prend bien garde de préciser «qu'Ile-de-France en Commun» n'est pas une initiative socialiste, d'autant «qu'Audrey Pulvar n'a pas sa carte de militante». Une manière d'imiter la méthode gagnante de la maire de Paris aux municipales. Les partis traditionnels étant désormais moins porteurs que repoussoirs, Anne Hidalgo s'était affranchie de l'étiquette PS, au profit des couleurs (vertes) de «Paris en Commun». Sa «plate-forme de soutien», transpartisane et accueillant la société civile, est devenue après sa victoire une «fédération» politique visant à «proposer une réflexion de fond».

des divergences sur le fond

Pour autant, sur le plan des idées, tout n'est pas rose entre la gauche et les verts. Bien que pas encore candidate officielle, c'est bien Audrey Pulvar qui a habilement allumé les premières mèches de la campagne courant octobre. Elle a proposé dans une interview au JDD «un grand plan de réfection des lycées et un plan d'accompagnement des élèves les plus en difficulté», ainsi que des efforts en faveur de l'agriculture et du logement. Et surtout, la gratuité des transports. Financée «par une contribution sur l'e-commerce et sur les entreprises les plus polluantes», cette proposition serait «un vrai changement de paradigme, en faisant des transports un bien commun, gratuit, de qualité et avec des investissements», veut croire son soutien Rachid Temal. Selon lui, il s'agit «d'une mesure de pouvoir d’achat et écologique».

Ce projet a toutefois été fraichement accueilli par le candidat vert Julien Bayou, qui l'a qualifié de «fausse bonne idée». Celui qui est aussi secrétaire nationale d'EELV propose plutôt de mettre en place des «navettes rapides et directes aux heures de pointe pour relier» certains «grands points» de la région, notamment grâce à la création de «corona-pistes de bus». Et pour faire émerger des propositions, l'écologiste va lancer sa plate-forme programmatique «début novembre», nous révèle-t-on dans son entourage. Elle sera ouverte aux militants écologistes, aux sympathisants ainsi «qu'à tous ceux qui veulent participer au projet».

D'autres frictions devraient aussi se produire sur le sujet de l'urbanisme. Si certains grands projets de construction font déjà quasi-l'unanimité contre eux, comme le terminal 4 de Roissy et le CDG Express, des divergences restent en suspend. C'est le cas de l'aménagement du triangle de Gonesse et d'une partie de la ligne 18 du Grand Paris Express. Dans le Val-d'Oise et en Essonne, des militants écologistes s'opposent à d'éventuelles bétonisation. «Nous voulons arrêter tous les grands projets pharaoniques, et travailler sur des choses qui paraissent moins sexy mais qui améliorèrent l'existant», prévient-on dans l'entourage de Julien Bayou. Rien ne dit que les autres formations seront sur des lignes aussi intransigeantes.

Ces partenaires de longue date sont néanmoins habitués à s'apprivoiser. «Nous savons circonscrire les questions sur lesquelles il y a débat mais qui ne sont pas irrémédiables», anticipe Céline Malaisé, qui sent le vent du boulet. Rappelant que «la lutte contre les inégalités fait l'unanimité», la patronne des communistes franciliens prône une plus grande utilisation de la compétence de planification dont la région dispose dans l'aménagement du territoire, pour «lutter contre le déséquilibre est-ouest et rapprocher les emplois des logements». L'enjeu, selon elle : «savoir comment nous voulons construire l'Ile-de-France de 2030, en tenant compte des nouvelles urgences environnementales et sanitaires».

Autant de volontés semblant a priori conciliables avec à celles des insoumis, qui ont présenté une première vision francilienne autour de trois axes : l'instauration «d'un bouclier social et sanitaire», «la bifurcation écologique» et «la rénovation démocratique». Sur le terrain, les représentants de LFI restent toutefois relativement discrets. La déconvenue des municipales et les turbulences au sein du parti mélenchoniste ne doivent pas aider au lancement de cette campagne. Deux noms se détachent pour l'heure : ceux de Clémentine Autain (député de Seine-Saint-Denis) et de Raquel Garrido (conseillère municipale de Bagnolet). La première s'est d'ailleurs déjà investie dans la bataille de la gauche, en signant l'appel des communistes, le Printemps Ile-de-France.

comment choisir l'heureux élu ?

Si l'union de la gauche paraît réalisable, les incertitudes persistent néanmoins sur la méthode. «Il faudra trouver un processus pour désigner la tête de liste régionale», souligne Céline Malaisé. «Certains veulent une primaire, d'autres quelque chose d'hybride, qui permette de donner à voir ce que sera le futur exécutif régional». C'est-à-dire une répartition des postes de la liste commune entre les différentes formations politiques. «La gauche aime les moments de rassemblement de débats, d'appels, d'initiatives de travail en commun», remémore avec malice Rachid Temal. Et ce soutien d'Audrey Pulvar de se montrer confiant : «avec l'intergroupe créé en juin au conseil régional, nous travaillons déjà ensemble depuis plusieurs mois. Je me fais pas de soucis pour le rassemblement».

«Mais le problème est que se mêlent aussi les discussions nationales. Tout le monde a des calendriers partisans ou personnels», nuance la présidente du groupe PCF francilien. Alors que la course à la présidentielle est déjà dans tous les esprits et que la situation de la première région de France est scrutée de près, chaque formation affute ses couteaux et ses ambitions. C'est particulièrement le cas chez les verts, qui restent sur des résultats positifs aux dernières élections européennes, municipales et sénatoriales. «Quand il s'est lancé, Julien Bayou a dit "je suis d’accord pour le rassemblement mais derrière moi". C'est limité pour discuter», regrette Rachid Temal. Côté EELV, on maintient que «le premier tour se fera en autonomie. On verra ensuite celui qui aura la dynamique pour porter le projet écologiste le plus loin possible».

Pour l'instant, la balance semble pencher du côté d'Audrey Pulvar. En vue du premier tour, sa liste de gauche a en effet le vent en poupe dans les sondages depuis la première enquête d'opinion, passant de 10 % en juillet à 17 % ce jeudi 22 octobre, selon L'Obs. Dans le même temps, Julien Bayou a dégringolé en quelques mois de 18 % à 11 % d'intentions de vote. Si l'examen des sondages doit être nuancé, ils peuvent toutefois dessiner sur le long terme des tendances lourdes. Surtout que le dernier sondage place pour la première fois une liste d'union menée par Audrey Pulvar (33 %) en position de menacer Valérie Pécresse (37 %). Reste à savoir quand s'opérerait ce regroupement indispensable pour la gauche comme pour les écologistes.

Pour Audrey Pulvar, la question est tranchée : «avoir deux listes au premier tour n'empêchera pas la victoire, mais n'en n'avoir qu'une peut la garantir». Un point de vue partagé par Céline Malaisé, pour qui «il est nécessaire de se rassembler dès le premier tour, afin de créer une dynamique à laquelle les Franciliens adhèreraient». La communiste nous rappelle «qu'on peut perdre une régionale entre les deux tours, comme en 2015, mais on ne peut pas la gagner entre les deux». Une référence à l'attaque de Claude Bartolone entre les deux tours des régionales 2015, qui avait accusé Valérie Pécresse de ne défendre que «Versailles, Neuilly, et la race blanche». Ce «dérapage» est encore considéré par de nombreuses personnes à gauche comme ayant causé leur défaite. Malgré le ralliement de l'écologiste Emmanuel Cosse, le candidat socialiste avait été battu par sa rivale de droite d'une courte tête (42 contre 43 %).

Sans surprise, chez les écologistes, on croit plutôt à la force du cavalier seul. «La conquête peut se faire quand chacun joue bien sa partition de son côté, de manière cohérente et transparente, et se rejoint finalement pour gagner», réagit-on dans l'entourage de Julien Bayou, où on préfère invoquer la stratégie des régionales victorieuses 2010. Jean-Paul Huchon (PS) et Cécile Duflot (EELV) avaient respectivement obtenu 25 % et 16 % au premier tour, derrière Valérie Pécresse (UMP, 27 %). En s'alliant au second tour, ils avaient permis au socialiste (56,7 %) de battre assez largement sa rivale de droite (43,3 %).

A moins que l'épidémie de coronavirus, avec le probable report de plusieurs mois des élections régionales, ne laisse davantage de temps à la gauche et aux écologistes pour s'entendre. Rien ne dit toutefois que cela suffirait pour qu'un accord soit trouvé.

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