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Justine Atlan, directrice d'e-enfance : «Il faut que les enfants sachent que la pédocriminalité existe»

L'association e-enfance vise à protéger les mineurs des dangers d'Internet, y compris des pédocriminels qui s'y trouvent. [e-enfance]

Enfants approchés sur les réseaux sociaux, chantage à partir d'images sexuelles, revenge porn... Depuis le début de la crise sanitaire, ces phénomènes ont connu une augmentation sans précédent.

Et pour cause : confinés, les jeunes sont incités à passer plus de temps sur Internet. Quant aux escrocs et pédocriminels, ils continuent de rôder sur les réseaux sociaux.

La tendance est particulièrement forte en Asie et dans le Pacifique. Selon les chiffres relayés par l'AFP ce 9 décembre, la police fédérale australienne a reçu 21.000 signalements d'abus sexuels en ligne contre des enfants sur un an, soit 7.000 de plus que l'année précédente. Le gouvernement philippin, lui, a enregistré un bond de 260% des signalements de contenus liés à des abus sur des enfants, de mars à mai. 

Comment faire face à ce fléau qui touche aussi la France ? Justine Atlan, directrice générale de l'association e-enfance chargée de protéger les mineurs sur Internet, donne des conseils aux parents. 

Comment reconnaître un abus sexuel en ligne contre un enfant ? 

Les abus sexuels en ligne prennent plusieurs formes. Par exemple, lors du reconfinement, les signalements de chantage à la webcam reçus par notre association ont augmenté de 30% par rapport au mois d'octobre. Il s'agit d'ados approchés sur des forums de discussion par des adultes malveillants. Ils les incitent à faire des lives où ils peuvent être amenés à se caresser. Ensuite, les ados se retrouvent piégés : on les force à verser une certaine somme d'argent, ou à donner d'autres vidéos sexuelles d'eux pour ne pas que les images du live soient diffusées. 

Cela concerne plutôt les garçons. Les filles, elles, sont les premières victimes de ce qu'on appelle le revenge porn, dont les signalements ont augmenté de 80% en novembre par rapport à octobre. Elles envoient des contenus sexuels d'elles dans le cadre d'une relation affective, et ces contenus sont diffusés sans leur consentement : elles seront moins victimes d'escroqueries, mais beaucoup plus de fausses rumeurs. 

Bien sûr, on a également le cas de prédateurs sexuels qui approchent des enfants plus jeunes, en général prépubères. Ils les manipulent et créent une relation perverse avec eux pour obtenir des images et des vidéos d'eux à caractère sexuel. 

Que conseillez-vous aux parents pour éviter que leurs enfants ne se retrouvent dans l'une de ces situations ? 

Le principal conseil, c'est d'en parler. Il faut que les enfants sachent que la pédocriminalité existe et qu'ils risquent d'y être confrontés. 

Souvent, les parents n'abordent pas le sujet, car la sexualité reste un tabou. Mais c'est une erreur : si un enfant n'est pas prévenu de l'existence des pédocriminels, il sera incapable d'en identifier un. Et même s'il a un mauvais pressentiment, il se sentira obligé de régler la situation seul et il se retrouvera piégé. 

Donc il faut absolument informer les enfants, et surtout leur dire que s'ils ont le moindre doute, ils peuvent en parler à leurs parents. 

Faut-il surveiller l'usage que les enfants font d'Internet ? 

Cela dépend de leur âge. En principe, les enfants ne sont pas censés s'inscrire sur les réseaux sociaux avant 13 ans. Si malgré tout l'enfant souhaite avoir un compte pour quelque raison que ce soit, ses parents doivent être vigilants.

Ils peuvent par exemple partager un profil avec leur enfant : créer le compte pour lui, le paramétrer de manière à ce qu'il n'apparaisse pas en public, l'inciter à ne pas communiquer avec des étrangers, mais uniquement avec ses amis d'école et sa famille... 

Cela permet d'enseigner à l'enfant les bonnes pratiques sur les réseaux sociaux. De cette manière, à 13 ans, lorsqu'il aura un compte personnel, les parents auront le sentiment de lui avoir transmis de nombreux réflexes, et ils pourront se positionner en «personne ressource» que l'enfant peut consulter en cas de problème. 

Mais les parents doivent aussi être vigilants dans leur propre utilisation des réseaux... 

Oui. C'est triste à dire, mais c'est la réalité : les parents postent parfois des photos de leurs enfants sans se rendre compte qu'elles peuvent être exploitées par des pédocriminels. 

Pour une personne lambda, une photo d'enfant en maillot de bain ou de bébé dans sa baignoire ne donne pas lieu à une excitation sexuelle. Mais il faut bien se rendre compte que ces images peuvent tomber entre les mains de prédateurs sexuels. 

Le mieux est donc de les partager uniquement dans des groupes fermés. Cela protège les enfants, mais cela permet aussi de leur donner le bon exemple et de leur apprendre qu'il faut faire attention à ce qu'on poste sur Internet.

Si, malgré tout, l'enfant est piégé par un escroc ou un pédocriminel, comment ses parents peuvent-ils s'en apercevoir ? 

En général, il y a un changement d'attitude chez l'enfant. Cela dépend des caractères, mais si un enfant passe plus de temps dans sa chambre, s'isole, perd le goût de quelque chose qui habituellement le passionne, c'est qu'il est préoccupé. 

Les parents doivent essayer de discuter avec lui pour savoir ce qu'il a. Il faut qu'ils désamorcent tous les mécanismes de manipulation du pédocriminel : souvent, le prédateur dit à l'enfant que leur relation est un secret et le menace. Les parents doivent bien montrer à l'enfant qu'ils l'accompagneront, qu'ils ne le gronderont pas, et qu'ils sont assez forts pour gérer la situation. 

S'il confie être victime d'un abus sexuel en ligne, comment réagir ? 

La première chose à faire est de signaler le compte illégal. D'abord à la plateforme sur laquelle les abus ont eu lieu, mais aussi à Pharos, la police en ligne. 

Ensuite, des plateformes d'écoute sont disponibles. Notre association e-enfance est là pour discuter avec les enfants et leurs parents. Nous pouvons aussi les accompagner dans les signalements du compte. 

Si jamais l'enfant ou les parents ont besoin d'un soutien psychologique renforcé, ils peuvent bien évidemment consulter un psychologue. Les enfants ont une capacité de résilience très forte. Parfois quelques séances seulement sont nécessaires pour régler le problème. 

Enfin, il faut se poser la question de l'usage futur d'Internet : faut-il établir de nouvelles règles, supprimer le profil des enfants, sont autant de questions qu'il convient de se poser. 

Retrouvez toute l'actualité Pédocriminalité ICI

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