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Syrie, Libye, Yémen, Afghanistan… Comment le coronavirus pourrait-il impacter les conflits armés ?

En Libye, où deux autorités se disputent le pouvoir, le Gouvernement d'union nationale (GNA) a notamment décrété un couvre-feu nocturne pour lutter contre le coronavirus. En Libye, où deux autorités se disputent le pouvoir, le Gouvernement d'union nationale (GNA) a notamment décrété un couvre-feu nocturne pour lutter contre le coronavirus. [Abdullah DOMA / AFP]

Syrie, Libye, Yémen, Afghanistan, Sahel... En raison de la pandémie mondiale de coronavirus, les conflits armés dans le monde sont désormais beaucoup moins médiatisés. Pourtant, eux aussi pourraient se voir affectés par la crise sanitaire.

Selon les experts, le premier effet de cette pandémie historique pourrait d'abord être le brusque désintérêt des puissances étrangères intervenant dans ces conflits vis-à-vis de ceux-ci, ces pays étant désormais obnubilés par la crise du Covid-19. «Dans tous ces conflits, la tutelle et le contrôle venus de l'extérieur vont diminuer», prédit Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris et spécialiste des relations internationales.

Et celui-ci de citer la crise en Libye, opposant le Gouvernement d'union nationale (GNA) aux troupes du maréchal Haftar, dans laquelle les Etats étrangers sont déjà «beaucoup moins impliqués». Le pays d'Afrique du Nord apparaissait pourtant il y a quelques semaines encore comme le terrain de luttes d'influence entre les grandes puissances, en particulier la Russie et la Turquie. Même constat au Mali, où une trentaine de soldats ont été tués jeudi 19 mars dans une attaque attribuée aux jihadistes, sans provoquer de sursaut du Conseil de sécurité de l'ONU. 

«Quel gouvernement voudra investir dans la poursuite de la paix au Yémen, en Syrie, en Afghanistan, au Sahel ou ailleurs alors qu’il fait face à une crise économique, sociale et politique quasiment sans précédent ?», s'interroge à l'AFP Robert Malley, président du centre de réflexion International Crisis Group, basé à Washington. Et même une fois l'épidémie jugulée, les Etats devront s'atteler à régler les conséquences de cette crise sanitaire. On pense en particulier aux effets économiques, délétères, qui devraient faire plonger de nombreux Etats (dont la France) en récession. «Les conflits risquent donc d'être marginalisés pour un moment», estime Bertrand Badie, prenant comme exemple l'opération antijihadiste Barkhane, menée par la France au Sahel, qui pourrait faire les frais de cette nouvelle hiérarchie des priorités.

Un risque humanitaire

Mais l'ONU tente de se montrer rassurante, assurant que la surveillance de l'évolution des conflits et de la situation des pays en crise se poursuit, même si les réunions de l'organisation ont été réduites à la portion congrue. «Nous veillons à ce que le Conseil de sécurité joue son rôle vital dans le maintien de la paix et de la sécurité mondiales. Le Covid-19 est le principal sujet mondial, mais nous n'avons pas oublié la Syrie, la Libye, le Yémen», a ainsi déclaré dans un tweet la semaine dernière l'ambassadeur par intérim britannique auprès des Nations unies, Jonathan Allen.

Un rôle de vigie qui paraît on ne peut plus important aujourd'hui, la pandémie de coronavirus risquant d'aggraver encore un peu plus la situation humanitaire, déjà critique, dans les pays en conflit. Des Etats qui sont jusque-là épargnés par l'épidémie, selon les chiffres officiels : un seul cas signalé en Syrie, 40 cas et un décès en Afghanistan, 45 cas et deux morts en République démocratique du Congo (RDC).

«Si la crise du coronavirus venait à s'emparer de ces pays, ce serait extraordinairement grave, car ils disposent là-bas encore moins qu'ailleurs des moyens de le combattre», s'alarme Bertrand Badie. Ces Etats, très pauvres, ont en effet des systèmes de santé défaillants, et seraient rapidement submergés en cas d'afflux de pesonnes contaminées par le coronavirus. Le Mali par exemple, qui doit faire face de façon récurrente aux attaques jihadistes, ne dispose que de 56 respirateurs et 37 lits pour les futurs malades. Sans parler de la Syrie, dévastée par dix années de guerre, et où la situation humanitaire dans la province rebelle d'Idleb est déjà considérée par les Nations unies comme «la plus grosse crise aujourd'hui dans le monde».

A qui profite le virus ?

D'où l'appel du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres lundi, réclamant «un cessez-le-feu immédiat, partout dans le monde», afin que les Etats puissent se consacrer totalement à la lutte contre le Covid-19, qui a déjà fait près de 17.000 morts à travers la planète (et près de 400.000 cas confirmés). 

Une prise de parole qui a très peu de chances d'être entendue, selon Bertrand Badie. «Les conflits, dans leur grande majorité, ne sont pas interétatiques, mais internes à chaque pays», explique l'auteur du livre «L’Hégémonie contestée. Les nouvelles formes de domination internationale» (éd. Odile Jacob). «Des Etats membres de l'ONU pourraient être attentifs à ce genre d'appels venant de la communauté internationale, mais des groupes combattants n'ont pratiquement aucune raison de s'y intéresser.»

Et ce, d'autant plus que, selon lui, ces «forces combattantes vont bénéficier d'un certain effet d'aubaine, du fait de la démobilisation sur le terrain des puissances internationales», liée au coronavirus. Mais ce n'est pas l'avis de tous les experts. D'autres s'attendant au contraire à un ralentissement des combats. «Jeter leurs troupes dans la bataille exposera Etats et groupes violents non-étatiques à la contamination et donc à des pertes humaines potentiellement catastrophiques», explique à l'AFP Robert Malley. Un moindre mal pour les populations civiles. 

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