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«Dune», le film : Denis Villeneuve fait passer la SF à l'âge adulte

La pression était forte sur les épaules du réalisateur, entre le report de la sortie dû à la pandémie, et le difficile héritage de cette œuvre culte au cinéma. Après avoir enfin pu admirer l'adaptation du roman Dune par Denis Villeneuve, on oublie vite la patience dont il a fallu faire preuve.

Et on se félicite de ce que le Canadien soit bien le grand réalisateur de science-fiction que l'on attendait. Après avoir fait ses classes avec le très réussi et sobre Premier Contact, et confirmé tout le bien qu'on pensait de lui en livrant avec brio et une vraie vision son Blade Runner 2049, suite du film culte de Ridley Scott, il s'attaquait cette fois à l'Everest de la SF, Dune.

Sorti aux Etats-Unis sous forme de roman en 1965, il est depuis devenu le livre du genre le plus vendu au monde, avec plus de 12 millions d'exemplaires écoulés (et sans doute encore plus avec la sortie du fim), et une cohorte de fans puristes prêts à relever le moindre écart, à l'image des fans du Seigneur des Anneaux au moment de la sortie de la trilogie de Peter Jackson. Surtout, ce jalon dans l'histoire de la littérature n'en est pas à sa première tentative d'adaptation sur grand écran, et nombreux ont été les réalisateurs ou producteurs à s'y être cassés les dents. Entre le projet gargantuesque d'Alessandro Jodorowsky dans les années 1970 - qui donna lieu à un storyboard mythique signé Jean Giraud et un documentaire passionnant - à la version de David Lynch (1984), reniée par le réalisateur lui-même malgré d'indéniables qualités, suite à une genèse chaotique et une durée trop courte pour embrasser toute l'oeuvre, le livre est devenu l'exemple type du roman inadaptable au cinéma. 

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C'était sans compter la vista de Denis Villeneuve et ses équipes techniques, et sa grande connaissance d'une oeuvre qui le hante depuis 35 ans, selon ses propres mots. 

Une histoire complexe rendue lisible

Il en fallait, en effet, du talent, pour réussir à synthétiser et rendre compréhensible au plus grand nombre ce récit qui nous amène en l'an 10191 de notre ère, alors que les Humains ont depuis longtemps abandonné la Terre. On suit les traces de la famille à la tête du clan des Atréides, qui règne depuis des générations sur la planète Caladan. A leur image, de nombreuses autres Grandes Maisons dirigent une ou des planètes, et toutes le font, plus ou moins pacifiquement, au sein d'un vaste empire galactique dirigé par l'Empereur Padishah. Ce dernier exige d'ailleurs que les Atréides, dirigé par le Duc Leto (Oscar Isaac), prennent possession de la planète Arrakis et s'y installent. Lui, sa femme, Dame Jessica (Rebecca Ferguson), membre de l'ordre spirituel féminin des Bene Gesserit- sorte de jésuites aux puissants pouvoirs psychiques - et leur fils Paul (Timothée Chalamet), devront donc apprendrent à vivre sur cette planète totalement désertique, la plus stratégique de la galaxie, puisqu'on y trouve la fameuse épice. Une poudre à l'immense valeur, aussi bien drogue permettant d'accroitre les facultés mentales que substance nécessaire aux voyages dans l'espace.

Sur place, ils devront remplacer une autre Grande Maison, celle des Harkonnens, leurs plus grands rivaux, bien décidés à leur savonner la planche après la perte de cette poule aux oeufs d'or qu'ils surexploitaient. Entre la résistance du peuple autochtone d'Arrakis, les Fremens (qui surnomme cette planète Dune), la menace de cet environnement hostile - l'eau y est quasiment absente et de gigantesques vers des sables s'attaquent à toute présence évoluant à la surface du sable - et le Baron Harkonnen (Stellan Skarsgârd) bien décidé à reprendre sa propriété, rien ne va bien se passer. Quand son clan sera sur le point de disparaitre, Paul Atréides prendra alors conscience, notamment grâce aux pouvoirs que sa mère lui a conféré, que son destin hors du commun est lié à celui de cette mystérieuse et hostile planète, aux Fremens - dont fait partie la jeune Chani (Zendaya) -, et même au devenir de l'Empire lui-même. Commence alors pour lui une quête initiatique où se joue sa survie et celle des Atréides.

Et il ne faut pas attendre bien longtemps pour se rendre compte que la réalisation a su magnifier tout le potentiel visuel contenu dans le roman, jusqu'à faire des étendues sablonneuses un acteur presque vivant de l'histoire. Présenté en avant-première mondiale lors de la dernière Mostra de Venise, il a conquis de manière quasi-unanime les festivaliers. Dès les premiers plans, la beauté des images est frappante, et cette impression ne se démentira pas, que l'action se situe sur la planète Caladan et ses rivages ressemblants aux côtes irlandaises, sur la surface de Dune et ses vastes étendues de sables, pareilles à des vagues d'ombre et de lumière, ou encore dans les scènes d'intérieur à la spatialisation monumentale. La multiplication des plans larges, la réalisation qui laisse une grande place aux scènes contemplatives, renforcent cette sensation d'immensité, et d'immersion du spectateur aux côtés de protagonistes rendus si fragiles au milieu d'un océan minéral brûlé par les rayons du soleil. Ici, peu de contrastes à l'écran, hormis celle de l'ombre à la lumière crue du désert.

Un choc visuel fait pour le cinéma

Loin de vouloir étourdir son public par un trop plein d'éléments, Denis Villeneuve fait preuve à l'inverse d'un style épuré, de l'architecture des véhicules - sublimes visions de gigantesques vaisseaux dans le vide spatial - aux grandes salles du palais, qui ne fait qu'apporter au réalisme des scènes. Un minimalisme qui sonne comme un renouveau de l'esthétique SF au cinéma, après une multitude de films - Marvel, comme Star Wars, n'y sont pas étrangers - ou le nombre de pixels et la surcharge d'effets spéciaux à l'écran venaient souvent combler le vide des scénarios. Les batailles ne s'éternisent pas, et Denis Villeneuve n'en fait pas un but en soi : pas besoin de mettre à l'écran une multitude de vaisseaux ou d'explosions pour les rendre intenses et excitantes. Quelques effets inédits, comme ceux des boucliers qui vibrent sur chaque impact, permettent d'apporter un peu de nouveauté à la galerie d'effets spéciaux des films de SF.

Chaque plan est pensé, équilibré, semblable à un tableau, comme on pouvait déjà le voir dans son Blade Runner 2049. Une impression renforcée par la bande son de Hans Zimmer, qui, après avoir longuement œuvré pour Christopher Nolan, envoie sur Dune ses nappes de synthés angoissantes et ses roulements de tambours telluriques qui collent aux mouvements des vers des sables. Une musique qui, par ailleurs, redonne encore plus de sens au mot space opéra dont Dune est le plus illustre exemple.

Surtout, ce film est l'un des plus beaux arguments de ces dernières années pour promouvoir le retour en salle. Le Dune de Villeneuve a été conçu pour le très grand écran, et on comprend mieux les critiques du réalisateur («c'est comme faire du hors-bord dans une baignoire», explique-t-il) vis-à-vis de la décision de Warner de sortir en même temps aux Etats-Unis le film au cinéma et sur la plate-forme HBO Max. Un non-sens complet qui enlèvera une bonne part de la magie du film.

Une galerie de personnages parfaite, trop parfaite ?

Pour animer ce décor grandiose, on pouvait craindre que le choix de faire appel à des stars très identifiées casse l'immersion dans cette longue galerie de personnages et... il n'en est quasiment rien. Mention spéciale à Timothée Chalamet, dont on pouvait douter qu'il possède le charisme nécessaire pour incarner ce jeune héritier, qui prend conscience au fil du temps de son destin à la mesure de l'univers, héros encore juvénile mais au rôle messianique attendu depuis des siècles par tout un peuple. Alors que le Franco-américain de 25 ans avait fait part dès l'annonce du projet de son envie d'incarner Paul Atréides, Denis Villeneuve a semble-t-il lui aussi préparé le film avec la nouvelle grande star du cinéma mondial. Et force est de constater que le joli minois de Chalamet (Call me by your name, Les quatre filles du Docteur March,...) convient parfaitement à la fonction, les choix cornéliens qui s'imposent à lui - comment venger la mort de son père sans devenir celui qui sèmera la guerre dans l'Empire galactique ? - semblant peser particulièrement sur ses frêles épaules. A peine sorti des jupons de sa puissante mère, le voilà obligé d'endosser celui de chef de guerre, dernier héritier de son clan. A ce titre, le film rend parfaitement compte de la dimension de roman d'apprentissage de Dune et des rapports mère-fils, sans doute l'aspect le mieux traité par Denis Villeneuve.

Et Sarah Ferguson tient parfaitement ce rôle de mère angoissée pour son illustre fils, et dont l'emprise s'amenuise à mesure que Paul sort gagnant des épreuves qu'il traverse, prenant conscience de son pouvoir. Sans pathos inutile mais avec toute la dramaturgie nécessaire, cette femme forte, fine psychologue autant que guerrière accomplie, doit continuellement trouver sa place, elle qui la compagne du Duc Leto sans être mariée, et qui a trahi son ordre Bene Gesserit en enfantant un garçon plutôt qu'une fille. Une réussite qui confirme toute la maturité atteinte désormais par l'actrice. 

Oscar Issac en Duc Leto, moins chien fou que son Poe Dameron de la dernière trilogie Star Wars, rempli sa partition en chef de clan à l'écoute qui se sait en sursis, et le Baron Harkonnen, incarnation du mal qu'on aurait aimé plus approfondie, trouve en Stellan Skarsgârd un bon ambassadeur. De la même manière, Dave Bautista, dans le rôle du neveu sanguinaire du Baron, passe vite pour une brute épaisse sans épaisseur, rendant les oppositions entre Harkonnen et Atréides un peu trop manichéennes, avec des camps du bien et du mal pour lesquels Frank Herbert avait plus de mesure. Mais chacune des interventions de Jason Momoa en maitre d'arme, Charlotte Rempling dans la peau de la dirigeante des Bene Gesserit ou de Josh Brolin, dans celle de Gurney Halleck, lieutenant Atréides et formateur de Paul, permettent de rapidement camper la place de chacun, sans que jamais la compréhension ou le rythme du film en pâtisse. 

Mention spécilale pour les représentants des Fremens, peuple asservi qui cherche la liberté plus que la vengeance. Javier Bardem en incarne très bien leur chef avec toute la rudesse qu'il lui faut, quand la silencieuse et mystérieuse Zendaya, qui hante sans cesse les visions de Paul, est magnifiée par les prises de vue dans le costume de Chani. 

Pour tous, on regrettera sans doute de ne pas les voir assez à l'écran, développer leurs interactions pour donner plus de corps à leurs personnages. Le réalisateur semble avoir donné le premier de ces rôles à la planète Arrakis elle-même, filmée sous tous les angles. Un choix judicieux, puisqu'au final, c'est bien elle qui scelle le destin de chaque personnage au gré de ses caprices.

Une SF qui colle à l'époque

C'est surtout une planète qui symbolise le penchant pour l'écologie du romancier, et que le réalisateur a repris à son compte. Les Fremens et leur distille, ce costume que tout habitant du désert doit porter et qui permet de recycler au maximum l'eau du corps, symbiose avec leur environnement naturel, s'opposent aux Harkonnens, colons avides d'épice qui ne voient en Dune qu'une planète hostile à piller, à grand renfort de machines destructrices. La finitude des ressources, l'impact de l'activité humaine, la nécessaire protection du vivant sont autant de thèmes abordés dans le livre qui sont ici mis en valeur, et qui résonnent encore un peu plus fort un demi-siècle plus tard. 

Et l'écologie n'est pas la seule vision de l'auteur que notre XXIe siècle vient confirmer ou amplifier. On peut voir dans la mainmise des Grandes familles qui se partagent l'Univers un condensé de toutes les politiques impérialistes occidentales des deux derniers siècles, sous forme de choc des civilisations. Et le retrait américain d'Afghanistan en est le plus récent exemple. On comprend rapidement, dès les premiers contacts entre les Atréides et les autochtones Fremens, que ces derniers ne feront la paix qu'une fois l'envahisseur - quel qu'il soit - aura quitté la surface de leur planète. 

Un récit d'une maturité rare

Le film, forcément, ne peut que suggérer ces enjeux qui font le coeur du roman, mais ne les élude pas totalement, offrant ainsi un récit d'une maturité rare dans les blockbusters de science-fiction. A l'image de la destinée messianique de Paul, qui devra, s'il veut accomplir son destin et venger son clan, embrasser la ferveur religieuse du peuple du désert, qui voit en lui, plus qu'un libérateur, celui dont la venue est annoncée depuis des lustres dans l'inconscient collectif des Fremens. Et si Villeneuve ne conserve pas le terme Djihad cher à Frank Herbert - l'époque est à la susceptibilité exacerbée - on se doute que les affrontements à venir auront l'aspect d'une guerre sainte.

 

On ne peut donc qu'espérer que le pari du réalisateur de scinder son film en deux parties - le cliffhanger final va rendre fou d'impatience les fans du film - sera gagnant, la suite étant soumise au succès du premier. Mais avec un budget de 165 millions de dollars, loin derrière les dernières productions Marvel, on n'ose croire que ce premier volet époustouflant ne séduise pas suffisamment pour offrir à cette transposition, plus qu'une adaptation, une apothéose digne de ce nom.

Dune, de Denis Villeneuve, en salles le 15 septembre 2021.

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