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Paris : comment Anne Hidalgo a remonté la pente

La maire sortante a été réélue alors qu'elle était dans une situation critique il y quelques mois. [© Lionel BONAVENTURE / AFP]

«On nous disait morts et enterrés», «Benjamin Griveaux prenait déjà les mesures du bureau du maire de Paris»... Le sentiment de «revenir de très loin» s'est mêlé au goût de la victoire après la réélection d'Anne Hidalgo aux municipales. Car la situation paraissait bien mal engagée pour la socialiste il n'y a pas si longtemps.

Nous sommes en 2018. A l'époque, chaque nouvelle qui arrive dans le bureau de la maire au premier étage de l'hôtel de ville est plus mauvaise que la précédente. Vélib' déraille, la justice retoque la piétonnisation des voies sur berges, Autolib' s'éteint, les crues de la Seine font remonter les rats à la surface, les travaux se multiplient... Chaque chose que touche Anne Hidalgo semble lui exploser à la figure.

En point d'orgue, son bras droit, Bruno Julliard, fini même par démissionner de son poste de premier adjoint. Un départ derrière lequel certains soutiens de la maire voient une manœuvre de la macronie. Fort de son triomphe aux présidentielles et aux législatives, le parti présidentiel lorgne désormais avec insistance sur Paris.

Car la capitale semble facilement prenable. La cote de popularité d'Anne Hidalgo est catastrophique : seuls 16 % des Franciliens en ont une bonne opinion (contre 35 % en 2017), et 32 % seulement chez les sympathisants de gauche (67 % en 2015). Dans le même temps, les premiers sondages pour l'élection municipale de 2020 donnent victorieux Benjamin Griveaux, alors même pas désigné candidat En Marche, avec 35 % des intentions de vote.

recentrage et changement d'équipe

Alors Anne Hidalgo encaisse et fait le dos rond. «Elle a toujours eu du courage politique, elle résiste bien aux pressions très fortes. C'est quelqu'un qui sait tenir la barre et ne pas être étouffée par les difficultés», commente Anne Souyris, son adjointe écologiste à la Santé, malgré quelques désaccords avec la maire et son entourage.

Après de nombreux déplacements internationaux, notamment pour promouvoir la candidature de Paris aux Jeux Olympiques 2024, la maire se recentre sur sa ville. Change son entourage en recrutant un nouveau directeur de cabinet, Frédéric Lenica, solide membre du Conseil d'Etat. Promeut Emmanuel Grégoire, alors discret adjoint au budget, pour en faire son nouveau lieutenant. Elle se met aussi en retrait en s'exposant moins dans les médias, faisant davantage monter au front ses fidèles.

Et la conjoncture se retourne progressivement. La piétonnisation finit par avoir gain de cause. Le recours massif au vélo pendant la grève des transports fait oublier les chantiers des pistes cyclables. Après les attentats de 2015, deux nouveaux drames lui permettent aussi de réinstaller son image de «maire courage» : l'incendie de Notre-Dame et surtout la crise du coronavirus. «C'est l'une des seules élus qui a proposé des solutions, notamment sur le déconfinement. Elle a eu une bonne gestion politique de la séquence», reconnaît un conseiller de l'Elysée.

Nous nous sommes inspirés des meilleurs mouvements : LFI et En MarcheEmmanuel Grégoire, premier adjoint PS d'Anne Hidalgo

Mais dans l'ombre, les stratèges se sont attelés au projet des municipales depuis de longs mois. Avec notamment une idée en tête : ne pas afficher l'étiquette «Parti socialiste», bien qu'Anne Hidalgo soit une des dernières figures solides du parti à la rose.

«Nous avons théorisé ça après la présidentielle de 2017. On ne peut plus formuler d'offre politique autour d'une incarnation marketing du logo d'un parti. C'est insuffisant, et on risque le dégagisme», explique Emmanuel Grégoire. «Nous nous sommes donc inspirés des meilleurs mouvements de l'époque moderne : La France Insoumise et En Marche, qui ont réussi le dépassement d'un parti. Même si on a vu que ça ne suffisait pas pour gagner...», glisse malicieusement le premier adjoint d'Anne Hidalgo.

Même si, dans la salle des machines, les petites mains du PS continuent à jouer un grand rôle, la maire crée son mouvement, «Paris en Commun», qui voit le jour officiellement en janvier 2019. En lien avec le think tank de centre-gauche Terra Nova, cette plate-forme idéologique sert à concocter le programme électoral en vue de 2020, en s'affranchissant des partis.

La maire consulte aussi largement : Jacques Attali, le philosophe Bruno Latour, le climatologue Jean Jouzel [également président de son comité de soutien, ndlr] «ainsi que de nombreuses personnes du monde économique», assure-t-on dans son entourage.

Les divisions des opposants

A l'approche de la dernière ligne droite, décision est prise de rentrer tard en campagne, «pour ne pas banaliser la maire trop vite en position de challenger et la garder au maximum au-dessus de la mêlée». Les grèves de décembre retardent aussi la mise en orbite de la fusée. D'un autre côté, cela laisse tout le temps à ses opposants pour se diviser à loisir.

«La remontée d'Anne Hidalgo, c'est de la politique pure. Elle a consolidé ses soutiens, a compris ce qui lui été reproché et a effacé un peu les traits les plus durs de son image. En face, elle a laissé les autres dérouler leur stratégie. Elle connaît bien Paris et a compris que la situation allait lui profiter», analyse un macroniste.

Car Les Républicains s'écharpent avec La République en Marche, de laquelle s'extirpe même le dissident Cédric Villani. Encouragé en ce sens par Jean-Louis Missika, l'une des têtes pensantes de la campagne de la socialiste. Résultat : une aubaine électorale pour Anne Hidalgo, avec le centre et la droite complètement éclatés. Ne reste plus qu'à garder une gauche unie. Les négociations sont vites réglées avec le Parti communiste et Génération.s.

Les attaques qu'elle a subies lui ont rendu service. Elles ont renforcé sa crédibilitéIan Brossat, porte-parole d'Anne Hidalgo

Sans oublier le social, l'environnement est désigné comme priorité n°1. «Elle nous a dit très tôt, dès 2016, que la question écologique serait au cœur des prochaines échéances», souligne Emmanuel Grégoire. Cette prolongation de son action lors de son premier mandat s'avère un pressentiment payant.

Avec un programme très vert, aux propositions mordant parfois sur celles d'EELV, Anne Hidalgo coupe l'herbe sous le pied de ses alliés historiques aux municipales de mars. Au premier tour, alors qu'ils poussent partout en France, les écologistes n'obtiennent «que» 10,79 % des voix dans la capitale. Soit 2 points de plus qu'en 2014, alors que l'urgence climatique s'est installée au premier plan de l'actualité.

«En fait, les innombrables attaques qu'elle a subies sur la place de la voiture lui ont rendu service. Elles ont renforcé sa crédibilité environnementale aux yeux des électeurs», sourit Ian Brossat, adjoint au logement et l'un des portes-paroles d'Anne Hidalgo.

Le 15 mars, les urnes lui donnent un score légèrement plus haut que prévu, et une bonne avance sur sa principale rivale, Rachida Dati, à 22 %. De quoi aborder les négociations pour rallier les Verts en position de force, et les conclure au moment où LR et LREM échouaient à se mettre d'accord. La maire sortante a un boulevard.

Une légitimité incontestable ?

A l'issue d'une étrange campagne d'entre-deux-tours, et sans trop de suspens, la socialiste est réélue le 28 juin. Avec un score (48 %) et un nombre de conseillers de Paris (96) inespérés il y a quelques mois encore.

«La clé de tout est qu'Anne Hidalgo aura été, pour beaucoup de Parisiens qui la contestent, la moins illégitime. On ne peut pas enlever 20 ans d'experience à Paris, des réseaux, des soutiens... Même si elle était en position de fragilité, contestée sur une partie de son bilan, personne ne pouvait lui enlever sa légitimité. Certains l'ont voulu, et ça a été une erreur», regrette un élu d'opposition.

Car au-delà de son action de maire, Anne Hidalgo s'est plus affirmée que jamais comme une redoutable politicienne. «Les gens sous-estiment Anne Hidalgo. Cela avait déjà été le cas lors de la campagne 2014. C'est quelque chose qui touche souvent les femmes en politique. Rachida Dati a aussi été sous-estimée par sa propre famille politique, avant de réussir à imprimer. Mais on n'est pas première adjointe pendant 13 ans et élue deux fois à la tête de Paris par hasard ou par chance», résume Emmanuel Grégoire.

Et maintenant, que va faire la nouvelle maire ? Dans l'immédiat, aider sa ville à tenir face à la crise économique et sociale qui vient, l'adapter à l'urgence climatique, et, plus loin, la préparer à accueillir le monde aux Jeux Olympiques 2024. A moins qu'entre temps, un «destin» ne l'appelle ou des «circonstances» ne s'imposent à elle en 2022. «Je la sais sincère, à l'instant T, quand elle dit qu'elle n'a pas du tout envie de se présenter à la présidentielle», souligne son bras droit.

Et qui sait, Anne Hidalgo finira peut être par se ranger à l'avis de Voltaire, pour qui «un instant de bonheur vaut mille ans dans l'histoire».

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