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Antoine Flahault, épidémiologiste : «nous ne pourrons pas tenir le coup tout l'hiver avec un confinement trop strict»

Le professeur Antoine Flahault est directeur de l'Institut de santé globale de l'université de Genève, en Suisse.[VALENTIN FLAURAUD / CHAM]

Professeur de santé publique, Antoine Flahault est également directeur de l'Institut de santé globale de l'université de Genève, en Suisse. Surveillant activement la propagation du coronavirus à travers le monde, il offre pour CNews un regard extérieur et nuancé sur la situation en France, à quelques jours d'un éventuel durcissement des restrictions.

Les mesures appliquées depuis plusieurs semaines, comme la fermeture anticipée des bars et des restaurants, sont-elles efficaces ?

Elles sont censées faire diminuer le taux de reproduction «R» du coronavirus (c'est-à-dire le nombre moyen de nouveaux cas causés par une personne infectée), qui caractérise l'accélération de l'épidémie.

Il semble que ces restrictions ne pèsent pas assez. Aidé par la fermeture des établissements scolaires pendant les vacances, le couvre-feu va sans doute bientôt porter ses fruits. Mais sera-t-il suffisant ? Et si on rouvre toutes les écoles, ne risque-t-on pas de perdre ces gains ?

Vous préconisez donc de maintenir fermés les établissements scolaires après le 2 novembre ?

La fermeture des établissements comme les collèges, les lycées et les universités serait une mesure forte pour réduire le nombre de contacts et à alléger les transports publics. L'impact social et éducatif serait considérable, mais moindre sur le plan économique.

En revanche, fermer les écoles primaires retirerait la moitié de la force de travail des parents concernés. Le rôle des plus jeunes enfants dans la propagation de l'épidémie est plus discuté, mais ce qui est certain aujourd'hui, c'est qu'ils ne risquent pas de complications sévères en cas d'infection.

Est-ce qu'il faudrait y ajouter d'autres fermetures ?

Les fermetures des bars, restaurants et salles de sport seraient aussi des mesures efficaces parce que ces lieux ont vu de nombreux clusters ces dernières semaines. Il est souvent difficile d’y respecter pleinement les gestes barrières.

Par contre fermer les commerces non-essentiels, comme les coiffeurs, les pressings ou les librairies ne serait pas d'une grande efficacité. Ce ne sont pas des lieux où se forment les clusters, selon les données rapportées partout dans le monde.

Par exemple, en Irlande, ces magasins non-essentiels peuvent rester ouverts pendant leur nouveau confinement, qui doit durer six semaines. Couplé au message «restez chez vous», on diminue l'affluence dans ces lieux. Ils ne feraient peut-être que 25 % ou 50 % de leur chiffre d'affaires, mais au moins, c'est mieux que 0 %.

Concernant les grandes surfaces, il y a bien eu quelques clusters dans des «malls» aux Etats-Unis, mais ça peut se discuter. Il faut être pragmatique et essayer de fermer surtout les lieux importants de clusters.

Il faut retrouver un fonctionnement opérationnel de la société tout en maîtrisant le virus. Aujourd'hui, l'épidémie en France n'est pas sous contrôle tant que la courbe reste d'allure exponentielle. Ce n'est pas tenable à court terme sur le système de santé dans son ensemble.

Faut-il pour cela mettre en place des mesures drastiques, comme par exemple un confinement le week-end ou total ?

Il faut agir au plus vite pour reprendre le contrôle de cette vague épidémique. Et toute mesure qui vise à réduire les contacts sociaux sont bienvenues sur le plan sanitaire.

Maintenant, il y a plusieurs méthodes. Certains suggèrent un confinement rapide et très strict de 15 jours, puis un relâchement progressif si les conditions épidémiologiques s’améliorent.

D’autres préconisent un confinement strict généralisé, comme celui de mars-avril, car on sait qu’il a fonctionné. Mais il n'est pas certain qu'on ait besoin de recourir à de telles mesures.

Les pouvoirs publics essaient de trouver un équilibre entre l'efficacité sanitaire et un moindre impact social et économique. Un niveau d'acceptation social suffisant est aussi nécessaire, sans lequel ces mesures risqueraient d'être vouées à l’échec.

Des restrictions draconiennes sont-elles donc évitables face aux records de nouveaux cas quotidiens ?

Il est impératif de faire descendre le taux de reproduction «R» sous la valeur 1,  pour casser la courbe épidémique et que le système de santé puisse absorber le choc. C'est l'objectif des mesures de confinement : éviter que les réanimations soient tellement submergées qu'elles ne puissent plus prendre des patients atteints d'autres maladies.

Heureseument, le «R» n'est pas très haut en France, à 1,2 ou 1,3 (donc 1 malade contamine en moyenne entre 1,2 et 1,3 autres personnes). C'est loin des valeurs du mois de mars, où il était de 3.

C'est la raison pour laquelle nous pouvons espérer réduire l'épidémie en recourant à des mesures moins strictes qu'au printemps dernier. Nous sommes aidés aujourd’hui par l'efficacité des mesures barrières, qui freine le dévéloppement de l'épidémie.

Une autre raison est pragmatique : nous ne pourrons pas tenir tout l'hiver avec des mesures de confinement trop strictes. L'économie ne s'en relèverait pas, l'Europe serait à genoux.

Devons-nous déjà tirer un trait sur un Noël en famille, selon vous ?

Cette année, les fêtes de Noël seront difficiles à organiser, car nous serons au cœur de l'hiver. Donc le risque de résurgence, si la vague est alors contrôlée, sera important. Mais nous n'en sommes pas encore là.

Il faudra réévaluer la situation à 15 jours de Noël. S'il y a une profonde décrue de l'épidémie, comme au moment du déconfinement, peut-être que nous pourrons relâcher la pression, tout en continuant à protéger les personnes à risque. Je crains néanmoins que ça soit très difficile tout l'hiver.

Aujourd'hui, il faut arriver à trouver des mesures, pas pour reprendre une vie normale, nous en sommes loin en raison de l'absence d'un vaccin ; mais pour obtenir un fonctionnement qui soit le moins impactant pour la société et l'économie.

Si une bonne partie des gens s'autodiscipline en limitant beaucoup les événements familiaux et les fêtes avec des amis, les contacts sociaux vont diminuer substantiellement. Ce n'est pas extrêmement loin de l'approche suédoise ou japonaise.

Des pays qui ont laissé filer l'épidémie...

Pas du tout, les Suédois n'ont pas laissé courir l'épidémie ! Ils sont très citoyens, les gens se sont appliqués un autoconfinement très strict. Par exemple, le gouvernement suédois n'a jamais décidé de fermer les lignes aériennes intérieures. Pourtant, les avions étaient cloués au sol par manque de client.

Les bars et restaurants sont restés ouverts, mais ils n'avaient que 25 % de leur fréquentation habituelle, le télétravail y est encore massif, il y a peu d'interaction entre les gens. On ne les a pas obligés à le faire, on les a incité, c'est du domaine de la responsabilité individuelle. D'ailleurs, tout le monde essaye désormais d'insuffler une forme d’approche participative dans la lutte pour contrer la maladie.

Est-ce que les nombreuses polémiques, comme sur la chloroquine ou l'absence de seconde vague, ne risquent-elles pas de limiter l'adhésion des Français aux mesures de lutte contre l'épidémie ?

Dans toutes les démocraties, il n'y a pas 100 % des gens qui suivent les préconisations. Ce n'est pas propre à la France, c'est vrai aussi en Allemagne, en Suisse ou en Italie, avec souvent des manifestations. Etre en opposition avec des recommandations fait partie de notre culture démocratique.

L'important est qu'une grande majorité des gens ait confiance dans l'action du gouvernement. Qui, en France, repose sur les données de la science, validées par un conseil scientifique. Ce n'est pas comme aux Etats-Unis, où il y a une forte opposition entre l'administration Trump et la task force scientifique gouvernementale. Nous avons beaucoup moins vu cela en Europe.

Les «rassuristes» qui ont annoncé l'absence de seconde vague portent-ils une responsabilité dans la situation actuelle ?

Pendant l'été, les gens ont essayé d'oublier le coronavirus, ils en avaient besoin. Puis, septembre a été un mois de débats sur la pandémie, un peu partout dans le monde, y compris en Suisse, où je travaille et vis.

Que les débats puissent engendrer des joutes scientifiques entre experts et des polémiques, c'est attendu et cela ne me choque pas. La pandémie est extraordinairement compliquée à décrypter et à prévoir.

Que certains aient eu des analyses différentes et enrichi le débat a permis au gouvernement de faire le tri entre les propositions, et aussi de tempérer certaines visions très catastrophistes, d'écouter les arguments des uns et des autres.

Mais aujourd'hui, le temps me semble moins propice au débat car nous sommes entrés dans une phase plus critique de la crise pandémique. Il faudrait arriver à faire converger davantage nos points de vue et soutenir l'action gouvernementale, car nous sommes tous dans le même bateau. La cohésion et la solidarité aidera beaucoup à affronter le virus. Nous ferons le bilan plus tard.

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