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«Les policiers défendent avant tout leur métier et leur corporation», selon le sociologue Jacques de Maillard

La vague des suicides est un enjeu majeur qui demande à protéger les policiers d'eux-mêmes. La vague des suicides est un enjeu majeur qui demande à protéger les policiers d'eux-mêmes. [Photo d'illustration / JEAN-PIERRE MULLER / AFP].

A l’appel de tous les syndicats du secteur, les policiers vont défiler ce mercredi 2 octobre à Paris pour une «marche de la colère».

Une mobilisation rare qui vise à alerter l’opinion publique sur le manque chronique de moyens alloués à l’institution, mais surtout à mettre la pression sur un Etat accusé de rester sourd à la détresse des hommes en bleu, frappés depuis des mois par une vague de suicides.

Décryptage de Jacques de Maillard, professeur de sciences politiques et auteur de plusieurs ouvrages sur la police, notamment «Sociologie de la police – Politiques, organisations, réformes» (avec Fabien Jobard, éd. Armand Colin, 2015) et «Polices comparées» (éd. LGDJ, 2017).

Cela fait des années que la police manifeste pour l’amélioration de ses conditions de travail. Cette «marche de la colère» peut-elle changer la donne ?

Il y a deux enjeux principaux : dénoncer la réforme des retraites, qui prévoit de toucher au régime avantageux des policiers, mais surtout réclamer de meilleures conditions de travail. Au travers de leur mobilisation, les policiers sont présentés comme mal compris, voire victimes : il faut mieux les protéger.

Ce qui est nouveau, avec l’enjeu des suicides, c’est qu’il faut aussi les protéger d’eux-mêmes. Mais le lien entre les suicides et le manque de moyens alloués à l’institution n’est pas évident. Car si la question des suicides pose celle des moyens, elle pose surtout celle du bien-être au travail. Ce qui renvoie à des problématiques autant quantitatives que qualitatives : comment accompagner les gens en difficulté ? comment travailler sur la gestion du stress ?

Policier est-il un métier comme les autres ?

C’est un métier extrêmement difficile, dans lequel on côtoie la misère du monde et les difficultés humaines. Et quand la police intervient, la plupart du temps elle n’est pas souhaitée.

C’est donc un métier difficile, il y a la dimension dramatique de la fonction, mais le policier n’a pas non plus le monopole du labeur : un enseignant en banlieue ou une infirmière des urgences travaillent également dans des conditions d’exercice difficiles. Policier n’est pas un métier à part, exceptionnel.

Même dans le contexte particulier des gilets jaunes qui, mobilisés chaque samedi depuis plus de dix mois, ont usé les forces de l’ordre ?

Les syndicats sont certes dans une revendication légitime – la reconnaissance des conditions du métier de policier par la population – mais ils sont avant tout dans un discours de défense des policiers : selon eux, s’il y a eu des problèmes lors des manifestations des gilets jaunes, c’est autant à cause des manifestants violents que des conditions du maintien de l’ordre imposées par le gouvernement.

Le danger, à partir de là, est de s’enfermer dans un discours qui n’est que corporatiste, et d’éclipser des questions centrales : comment faire baisser les tensions sur le terrain ? comment restaurer un dialogue avec les manifestants ? Il ne faut pas que la profession se limite à la question des moyens.

Comment ce maintien de l’ordre, largement critiqué ces derniers mois, pourrait-il justement être amélioré ?

Il n’y a aucune réponse simple à cette question. Mais il faut mieux communiquer avec les manifestants, adapter la réponse policière à ceux qui ne joueraient pas les règles du jeu traditionnelles (par exemple, en ne déclarant pas les rassemblements). Mieux faire comprendre aux manifestants pacifiques le régime de sommation, par exemple.

Autre point fondamental : faire respecter les règles déontologiques du maintien de l’ordre (utilisation proportionnée de la force, présentation du numéro d’immatriculation du policier…). Cela pourrait passer par davantage de formations des policiers, notamment sur l’utilisation du LBD. Enfin, il faut mieux cibler les interventions : interpeller le «black bloc» ou l’individu violent – et seulement lui – de manière à ne pas susciter la radicalisation des autres manifestants qui, à l’origine, étaient pacifiques.

Les réponses du gouvernement à la police (revalorisation des salaires en décembre 2018, numéro d’écoute pour prévenir les suicides…) vous semblent-elles à la hauteur des revendications ?

Les problèmes sont à mon avis beaucoup plus structurels. Le sujet du suicide commence à émerger, et c’est très bien, mais ce n’est pas un numéro d’écoute qui va faire disparaître les problématiques de fond.

Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, en place depuis un an, a-t-il une responsabilité dans la résurgence du mouvement policier ces derniers mois ? Selon un syndicat, il «n’a pas toutes les cartes en main» pour agir…

Castaner est un ministre qui a beaucoup joué pour la défense des policiers. Il a également commis un certain nombre d’erreurs de communication, en ne prenant pas suffisamment le temps de recouper l’information ou en montrant peu d’empathie pour les victimes. Je suppose donc qu’il va utiliser la mobilisation des policiers pour renforcer la pression sur l’Elysée et Matignon.

Certains policiers critiquent la politique gouvernementale ou les ordres de leur hiérarchie. Pourrait-on voir un jour une «révolte» des policiers, une convergence entre manifestants classiques et policiers ?

C’est peu probable. Les revendications de policiers sont d’abord catégorielles, centrées sur la nécessaire protection, la légitime défense… Sur la défense de leur métier. Dès qu’un événement dramatique les affectant se produit (policiers attaqués, procès de l’un d’eux, procédure disciplinaire...), toute la corporation se mobilise. Une convergence avec l’extérieur semble donc inenvisageable pour l’instant, encore moins une rébellion des policiers contre les autorités. En revanche, il n’est pas impossible que le mouvement se durcisse. Les policiers vont se compter.

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