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David Belliard, candidat EELV à Paris : «Nous devons retrouver une souveraineté sanitaire»

L'écologiste a été journaliste spécialiste de la Santé par le passé. [© Thomas SAMSON / AFP]

En parallèle de son engagement chez EELV, qui l'a conduit à être candidat écologiste aux municipales à Paris, David Belliard a aussi été journaliste spécialiste des politiques de santé publique. De quoi avoir un avis tranché sur l'affaiblissement du système sanitaire français constaté pendant cette crise du coronavirus.

Comment jugez-vous la gestion de la crise du coronavirus jusqu'à présent par les autorités ?

Même si nous pâtissons d'une faible connaissance de la maladie et de ses modes de transmission, il apparaît chaque jour plus évident que la pandémie n'a pas été suffisamment anticipée par le gouvernement.

Des messages contradictoires ont été portés à l'attention de l'opinion publique : le samedi soir le Premier ministre annonce la fermeture des bars et restaurants, le dimanche les électeurs sont incités à aller voter, et le lundi nous apprenons que nous sommes en état d'urgence sanitaire.

Tout cela n'est pas sérieux, et à surtout empêché d'envoyer un message clair à la population. Les non-respects partiels du confinement en sont d'ailleurs certainement en partie la conséquence.

Ensuite, la stratégie face à la pandémie semble avoir été déterminée uniquement par le manque de moyens. L'absence de masques, au moins pour les populations exposées, et de stocks de tests nous a empêcher d'adopter une stratégie de prévention et de test massif de la population, comme l'a réalisé la Corée du Sud, avec d'excellents résultats.

Du coup, faute de mieux, le gouvernement a été contraint de mettre en oeuvre la seule mesure qui pouvait l'être au regard des moyens disponibles : le confinement complet de tout le pays.

Manque de masques, de tests, de médicaments, de lits, de réanimateurs, de soignants... Comment la France en est-t-elle arrivée là ?

Cette crise révèle l'extrême fragilité de notre système de santé et de soins. C'est le résultat de quinze-vingt ans de politiques publiques qui ont progressivement fragilisé un système de santé qui, au début des années 2000, était pourtant considéré comme le meilleur au monde par l’Organisation mondiale de la Santé.

Mais, dans le même temps, l'idée s'est affirmée que la santé, ainsi que l’ensemble des domaines du sanitaire, du social et de la solidarité, étaient uniquement des coûts qu’il fallait rationnaliser et réduire.

Cette idée trouve une concrétisation en 2007 dans le rapport Attali sur la modernisation de la France, dans lequel Emmanuel Macron a d'ailleurs participé [en tant que rapporteur général adjoint, ndlr]. Il y a des dizaines de mesures dans ce rapport qui va inspirer Nicolas Sarkozy, dont notamment celle d'instaurer une franchise médicale.

Cette franchise peut paraître symbolique à première vue : c’est 1 euro par acte non remboursé. Mais, en vérité, elle casse la philosophie générale du système de la Sécurité sociale, créé après la Seconde Guerre mondiale, selon laquelle chacun contribue selon ses besoins et reçoit selon ses besoins.

Et l'hôpital public dans tout ça ?

En 2008, les réformes de Roselyne Bachelot [alors ministre de la Santé, ndlr], sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, transforment profondément l’hôpital public. Le but affiché est de répondre à un contexte sanitaire qui évolue, avec l’explosion des maladies chroniques comme le cancer, le diabète, les maladies cardio-vasculaires, ainsi que le vieillissement de la population. Mais  c'est d’abord une logique purement financière qui prédomine.

On y introduit en effet la tarification à l’activité, ce qui veut dire que pour la plupart des services, on va payer les hôpitaux en fonction de leur niveau d’activité. Pour avoir des financements, les hôpitaux sont incités à faire des actes, au détriment de la qualité des soins.

Mais cela aboutit à des situations souvent absurdes en termes de management. Par exemple, dans la prise en charge de diabétiques, qu’est-ce que c’est un acte ? Il n’y a pas forcément d’actes chirurgicaux ou techniques. C’est beaucoup d’information, de prévention, d’apprentissage sur comment manger ou gérer son diabète.

Il y a donc de nombreux services dans lesquels cette logique de rationalité financière ne correspond pas du tout à la réalité du terrain. C'est une absurdité pour les personnels soignants, qui sont plutôt dans des logiques de prendre soin, à mille lieux de l'exigence de multiplier des actes.

Dans le même temps, pour rationaliser l’offre, on a fermé des hôpitaux de proximité pour les rassembler dans les mêmes endroits. Par exemple, en Haute-Saône d'où je viens, on les a rassemblés à Vesoul. Enfin, pour faire des économies, on a diminué le nombre de lits, ces mêmes lits dont on manque cruellement aujourd'hui.

Et pourtant, ceux sont les soignants qui sont en première ligne aujourd'hui...

Cette politique a mis a genou notre hôpital public. Les alertes ont été nombreuses  et visibles, on l'a vu il y a quelques mois, quand les personnels soignants écrivaient des «SOS» sur les façades des hôpitaux et disaient «comptez vos sous, on comptera nos morts». Nous payons là 10 ans d’une politique d’épuisement des soignants, des gens pressurisés et mal payés.

Le système tient aujourd'hui car ces gens sont véritablement les «héros» de cette épidémie. Les médecins, les infirmières et infirmiers, les aides-soignants, les personnels qui font le ménage ou assurent l’alimentation des malades... Ces gens sont très motivés et mobilisés. Et heureusement qu’elles et ils sont là. Comme d’ailleurs tous les personnels essentiels qui font tourner la société.

On a raison de les applaudir tous les soirs, le gouvernement a raison de leur rendre hommage, mais ce qu'on appelle «les héros du quotidien» ne sont pas surhumains. Ils ont impérativement besoin d'avoir les moyens pour exercer correctement leur travail : un salaire  décent, un cadre d’exercice attractif et sécurisant. Bref, c'est cela qu'il va falloir changer, en profondeur.

La médecine générale est-elle dans un meilleur état ?

La privatisation du financement des soins courants pose aussi problème. Quand vous allez voir votre médecin, un généraliste ou spécialiste, seulement 60 % des dépenses sont prises en charge par la Sécurité Sociale, donc par l'Etat. Le reste est pris en charge par des complémentaires santé, mutuelles, assurances… et par les usagers eux-mêmes. Cette privatisation du financement des soins courants pose aussi problème.

Il y a notamment beaucoup de gens qui renoncent à aller se soigner. C'est d'ailleurs une des causes de l'engorgement des urgences depuis des années. Une partie de la population, la plus précaire, préfère aller aux urgences parce que c'est gratuit, plutôt que chez un médecin où ils savent qu'ils vont devoir avancer de l’argent et que c'est trop cher pour eux.

C'est d’autant plus vrai, que, tous les ans, il y a des attaques de la droite et de l’extrême-droite sur l'Aide médicale d'Etat (AME) et la Couverture médicale universelle (CMU). Leur  objectif, pour des raisons purement idéologiques et politiciens, est d'exclure du système de protection sociale les plus pauvres, les migrants, les sans-papiers, les sans-abri, car ils sont perçus comme profitant du système.

Or, l'AME et la CMU sont aujourd'hui des outils très importants de solidarité nationale et de santé publique, qu'il faut sans doute améliorer, mais qui doivent rester un socle de solidarité très forte. D’autant plus en face d'un risque infectieux comme aujourd’hui.

La mauvaise prise en charge des plus fragiles favorise la propagation de virus, comme le Covid-19. Notre succès collectif face à cette pandémie est lié au succès individuel de chacune et de chacun d’entre nous. Sans exception aucune.

Le manque de ressources médicales a-t-il des répercutions ?

Médicaments, tests, masques, matériels, surcharge des hôpitaux. Tout manque ! Conséquence : on est en train de sélectionner les patients. Sans le dire, on sacrifie  les plus vulnérables. Cette situation est une honte absolue.

Prenez la situation catastrophique dans les Ephad... On a laissé des centaines de personnes se faire infecter, parce qu'on n'a pas assez donné de matériels pour les soignants, parce qu'on n'a pas pris en compte toute la question du soin pour nos aînés, comme en 2004 [lors de la canicule, ndlr]. Depuis, trop peu a été fait.

C’est quand même incroyable que depuis 15 ans, nous n’ayons toujours pas une politique digne de ce nom pour la prise en charge de l'autonomie et des personnes âgées, qui sont en extrême vulnérabilité. Aujourd'hui on le paye. Plus de 2.000 morts ! Et ce sont encore une fois les plus vulnérables qui sont touchés par cette crise.

Pourquoi ? Car on n'apporte pas de solutions convenables pour prendre soin d'eux, parce que notre société, obsédée par la performance, est incapable de considérer la fragilité et cette vulnérabilité qui, tôt ou tard, nous habitera tous un jour.

Quelles solutions proposez-vous ?

D'abord, il faut arrêter avec la logique de financiarisation et de rationalisation des coûts dans les services publics de santé. Si on continue à faire cela, nous allons terminer le délitement d’un système déjà sous tension depuis des années.

Emmanuel Macron a annoncé un grand plan de l'hôpital public. Oui, il y a un sujet sur les moyens et sur la revalorisation des salaires. Parce que ces gens sont mal payés, dévalorisés, en souffrance, et il faut y répondre. Le problème n'est pas uniquement l’argent, c’est aussi la philosophie générale et toute notre organisation qu'il nous faut revoir.

Par exemple, l’Europe, pas seulement la France, a perdu la maîtrise de la production de certains matériels essentiels. Ainsi, les masques, avec notamment la fermeture de l'usine de Plaintel

Quand le Premier ministre nous explique que sur les 8 molécules essentielles [pour les médicaments] dans les services de réanimation, on risque d'avoir des ruptures d'approvisionnement. On voit bien ici à quel  point nous sommes dans une extrême dépendance, en particulier vis à vis de la Chine. Nous devons retrouver une souveraineté sanitaire.

De même, sur la polémique née d’une déclaration à la télévision  d’un médecin proposant de faire nos essais cliniques en Afrique. C'est extrêmement choquant, mais ce qui est le plus choquant encore, c'est que ça se fait déjà ! L’industrie pharmaceutique fait aujourd’hui une partie de ses essais cliniques dans des pays du tiers monde, en Inde notamment, avec l'autorisation de l’Europe. Pourquoi ? Car le cadre réglementaire y est plus souple, la protection des participants moindre, les coûts diminués.

On voit bien que ce modèle hyper-mondialisé, hyper-financiarisé ne nous permet pas de répondre aux grands enjeux de santé publique ni aux crises comme celles du coronavirus. D'autant qu'on sait que ces crises, liées à la dégradation de l’environnement, à la déforestation et à la chute de la biodiversité,  vont se multiplier.

Il faut changer cela. L'Europe doit mieux réguler cette industrie stratégique, reprendre la main sur la recherche et sur la production. Il faut relocaliser, sans doute nationaliser ou en tout cas «européaniser». La question du médicament devrait se penser à l'échelle européenne, au travers d’une grande agence  européenne qui y serait consacrée, par exemple. Pour cela, nous avons besoin d’une Europe plus intégrée et plus solidaire, car cette stratégie implique énormément d’argent et de financements.

Reproduire en Europe et France couterait plus cher…

Mais ça coute déjà très cher de faire produire ailleurs ! Ca coûte très cher d’avoir détruit les emplois sur nos territoires. Ça coûte très cher de laisser des soignants dans cette grande souffrance. Et ça coûte très cher de dire qu'on va laisser mourir des gens parce qu'on n'aura pas assez de médicaments.

Ce risque infectieux va s'amplifier. Depuis les années 1950, il y a une multiplication des nouvelles maladies. Il y a eu le SRAS, Ebola, aujourd’hui le Covid-19. De nouveaux virus se propagent très vite car nous sommes dans un monde hyper-connecté et métropolisé.

Oui, cela pose aussi la question de l’ultra densité des métropoles, qui peuvent devenir très vite des «bombes virales». Les virus se propagent extrêmement vite du fait de la proximité, voire de la promiscuité des habitants de ces villes. Ce monde-là est d'une grande fragilité par rapport à ces risques infectieux.

Mais il a aussi des conséquences sur notre santé, parce qu'on mange mal, on respire un air pollué, on y devient fou et épuisé de devoir travailler et vivre pressurisés. Et nous ne pouvons pas faire reposer la réponse à cette situation sur les seuls hôpitaux et soignants. Il faut changer, passer d’une logique centrée sur le soin à une logique centrée sur la prévention, passer d’une société de l’hyper-consommation  qui détruit nos écosystèmes à une société plus sobre, plus douce, qui protège les vivants plutôt qu'il ne les detruit.

Malheureusement, quand je vois que l'industrie automobile demande encore et encore du temps pour que ses modèles soient moins polluants et que les entreprises aéronautiques demandent des reports de charge pour relancer leur activité comme avant... C’est un problème.

Craignez-vous que la relance économique se fasse au prix de l’écologie ?

Je ne crois malheureusement pas à la thèse qui dit que cette crise va déboucher automatiquement sur une société écologiste. Cela va être un grand combat. On est sur une ligne de crête.

Rappelez-vous qu'en 2008 d’ailleurs [après la crise financière], c’est exactement ce qu’il s’est passé. Beaucoup a  été dit sur la nécessité de changer, du «plus jamais ça», et finalement,  que s’est-il passé ? Rien, ou pratiquement rien. On est revenu à un système à l'identique. Aujourd'hui, le risque est grand, non seulement de repartir comme avant, mais même  de repartir pire qu'avant.

Ce serait alors une catastrophe.  Mais nous sommes sur une ligne de crête, et le pire n’étant jamais certain, il se profile aussi le chemin d’une société résiliente. Pour cela, la mobilisation citoyenne est essentielle, elle doit grandir et rendre inéluctable ce changement dont nous pouvons être toutes et tous acteurs.

Avez commencé à travailler sur «l'après» chez EELV ?

Oui, il y a un travail qui a été voté par notre Conseil fédéral le week-end dernier. D’une manière générale, cette situation valide énormément de constats mais aussi de propositions faites par EELV et les écologistes : la relocalisation, la reprise en main des biens communs, l'importance des services publics, la lutte contre les inégalités, la construction d’une  société plus sobre... Tout cela, c'est déjà dans notre projet, mais qui a une nécessité d’être enrichi, complété, actualisé, avec la situation actuelle.

Aujourd’hui, tous les efforts doivent être faits pour arrêter l’expansion de cette épidémie très meurtrière. Mais au moment de la sortie, ce sera extrêmement important, le gouvernement devra faire de grandes conventions, réunissant des acteurs économiques, des associatifs, des citoyens, des politiques.

J'ai écouté Bruno Latour parler des cahiers de doléances... Oui, il faut que nous prenions un temps pour discuter collectivement et nous mettre d’accord collectivement sur le modèle de société vers lequel nous voulons aller.

C’est une condition pour  que nous ne subissions pas les changements, mais que nous anticipions et reprenions  la main sur nos vies, en décidant collectivement de ce qui relève de l’essentiel ou du superflu, et des priorités pour les prochains mois et années. C'est le chemin le plus efficace, le plus démocratique et, disons-le, le plus joyeux.

On a vu le résultat des grandes consultations lors des Gilets Jaunes…

C’est d'abord au niveau des territoires,  au niveau local qu'il nous faut travailler. C'est l'échelon le plus pertinent. Il ne faut pas un grand débat formaté et lissé, mais véritablement donner la parole aux gens, pour qu’on puisse avoir une vraie discussion sur le modèle qu’on veut faire. Et il faut un engagement pour que ça se traduise en acte. C'est là où la politique est essentielle.

Le problème de toutes ces conventions, de tous ces grands débats, c’est qu'ils ne se traduisent pas en acte et restent à l’état de mots. Souvent de jolis mots, qui sont utilisés dans de grands discours, mais qui ne se traduisent pas en termes de transformations profondes de la société. Parce que les lobbys, les intérêts privés et les conservatismes sont souvent les plus forts.

Nous avons un enjeu impératif de dépasser ces résistances et de changer de modèle, de transformer ces mots en actions. Et pour ça, il y a des élections. Municipales, régionales, présidentielles... C'est aussi là que se  jouera une partie de notre avenir.

L'important est d'abord de voir comment on sort de la crise, quels sont les orientations qui vont être données. Si, encore une fois, ce sont des plans de relance de l'économie «business as usual» et que rien ne change, ce serait le pire de tout.

Et quand Emmanuel Macron dit que «demain ne sera pas pareil qu'hier» ?

Emmanuel Macron est celui qui a supprimé l'ISF et qui a participé au rapport sur la modernisation des services publics, qui nous a amené quinze ans plus tard à la situation dans laquelle on est. Il n'a pas répondu aux propositions à la suite de la mobilisation des gilets jaunes et à la nécessité de construire un nouveau modèle écologiste et social.

Et plus généralement, de nouveau, je n'oublie pas «l'antécédent 2008» : après la crise, le système n'a alors que très peu bougé. Au contraire, il y a même eu un «effet rebond», puisque la consommation de CO2 est repartie de plus belle. Les inégalités se son accentuées, les plus riches sont devenus encore plus riches, les plus pauvres sont devenus encore plus pauvres, les services publics se sont délités, la biodiversité et nos écosystèmes ont continué à s'effondrer et la catastrophe climatique à s'accélérer.

Les beaux mots du changement, qui étaient alors utilisés jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir se sont évaporés, et il n'y a aucune transformation réelle. C'est ça qu'il faut à tout prix éviter pour cette crise sanitaire. De la part de ceux qui ont les clés pour agir, il faut moins de beaux mots, et plus de vrais actes.

Emmanuel Macron est celui qui, depuis le début de son mandat, a soutenu le modèle tel qu'il existe. Sans lui faire aucun procès d'intention, permettez-moi d'être très dubitatif devant sa soudaine conversion... Tout le monde peut se payer de beaux mots. La question est : qu'allons-nous vraiment faire ?

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