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Mort de Nahel : violences urbaines, cagnottes, politique... Deux France qui s’affrontent, bientôt irréconciliables ?

Les funérailles de Nahel se sont déroulées le samedi 1er juillet, quatre jours après sa mort. [Sebastien SALOM-GOMIS / AFP]

Après la mort de Nahel, 17 ans, tué par balle lors d’un contrôle de police, la France s’est polarisée en deux camps. Condamnation du policier, récupération politique, cagnottes, autant de sujets qui mettent en évidence cette polarisation entre deux France qui pourraient bien devenir irréconciliables.

La goutte d’eau qui fait déborder le vase. La mort de Nahel, tué par un policier lors d’un contrôle routier, a été l’élément déclencheur d’une semaine de contestation inédite née dans la banlieue parisienne puis propagée sur tout le territoire. Un drame révélateur de l'immense fracture sociale qui scinde la France en deux camps opposés sur le terrain des valeurs, mais aussi dans la rue, et qui pourrait bien faire vaciller le fragile équilibre de notre République.

Un combat idéologique

A chaque fois que la République est en danger, un sursaut finit toujours par se produire pour défendre l’essentiel. Dans une France traumatisée par une semaine d’émeutes urbaines, dont cinq jours d’une intensité inédite, dépassant celle de 2005 de l’avis des forces de l’ordre, deux camps se sont rapidement opposés : les Français horrifiés par la bavure d’un policier, tuant à bout portant un adolescent de 17 ans pour un refus d’obtempérer, et ceux qui ont considéré que l’agent n’avait fait «que son travail» face à un «délinquant multirécidiviste».

Déjà, les deux camps semblaient prendre leurs distances. Ce n’était pourtant que le premier pas d’un affrontement quotidien, d'un combat idéologique, d’abord, qui s'est matérialisé dans la rue, ensuite, entre ceux qui ont participé à la marche blanche en hommage à Nahel, et ceux qui se sont déplacés, par centaines, dans tout le pays, à l’appel de l’association des maires de France, pour soutenir leurs représentants après la violente attaque qui a visé le domicile de Vincent Jeanbrun, le maire (LR) de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne).

Pour ces deux camps, une question demeure : est-il plus important de préserver l'ordre républicain en sanctionnant un refus d'obtempérer, coûte que coûte, et en se montrant d'une fermeté exemplaire avec les émeutiers, ou bien la vie d'un adolescent prévaut-elle sur la sanction d'une infraction routière, et l'acte du policier est-il légitime et proportionné face à la gravité de l'infraction ? Chaque camp semble avoir sa propre réponse. 

Un combat politique 

Au sommet de l’Etat aussi, les gestes se sont conjugués pour tenter de recréer de l’unité. En vain. Les responsables politiques ont sauté sur l’occasion pour condamner l’acte du policier auteur du tir, d’une part, et pour clamer haut et fort le respect de la présomption d’innocence, d’autre part. A gauche, de nombreuses personnalités se sont associées pour réclamer une justice ferme, et demander la réforme de l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure, modifié en 2017 par Manuel Valls, qui régit la règlementation sur l’usage des armes par les policiers.

Pour une partie de la gauche, le mal est profond, ancré dans l’institution. Certains, à l’image de Jean-Luc Mélenchon, ont ainsi refusé «d’appeler au calme» réclamant plutôt une refonte totale de la police, afin d’en redéfinir le cadre de travail et les prérogatives, rappelant qu’il s’agit d’un organe destiné à la «protection du peuple» et déplorant une mainmise de l’extrême droite sur l’institution. A droite, les élus ont pour leur part insisté sur la dangerosité présumée de l’adolescent, qui avait multiplié les infractions routières avant le contrôle. Ils ont ainsi réclamé la protection des forces de l’ordre à travers la mise en place de la présomption de légitime défense.

Du côté de l’extrême droite, c’est une proposition encore plus radicale qui a refait son apparition dans le débat public. De Eric Zemmour, jusqu’à Marine Le Pen, en passant par Jordan Bardella, chacun a exhorté des sanctions exemplaires pour les émeutiers, mais aussi pour leurs familles, en exigeant que l’Etat cesse de payer les allocations des familles des jeunes qui se sont rendus coupables de violences urbaines ou de révolte. «Il serait inadmissible que ce soit les Français qui paient les réparations des dégâts avec leurs impôts», a déclaré Jordan Bardella sur CNEWS.

La polarisation du débat a donc déteint sur tous ceux qui pourraient encore faire cause commune. La gauche a concentré le tir sur les violences policières, tandis que la droite s'est focalisée sur les émeutiers, que le président de LR, Eric Ciotti, n’a pas hésité à présenter comme des «barbares» en fustigeant «l’immigration de masse». Dans ce contexte, le mot «apaisement» à peine prononcé est déjà inaudible, et le chef de l’Etat se retrouve perdu entre les appels à la fermeté et les appels à la justice. Car, si beaucoup l’oublient ou ne veulent pas le voir, c’est bien un criant sentiment d’injustice qui a conduit au déchaînement de violence sans précédent de ces derniers jours.

La question de la condamnation du policier

En plus de la récupération politique, vient s’ajouter une question centrale qui divise, une fois de plus, les Français. Celle de la situation du policier auteur du tir sur Nahel. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles a décidé ce jeudi de maintenir en détention provisoire le policier auteur du tir mortel sur Nahel, suivant la réquisition du parquet, et estimant que les conditions légales de l’usage d’une arme n’étaient pas réunies.

Une décision saluée par les proches de Nahel, vécue comme un soulagement pour sa famille, qui y voit les prémices de la justice qu’elle attend. Une décision également saluée par une partie des Français, sur les réseaux sociaux, tandis qu’une autre partie s’est indignée du traitement réservé au policier. Le débat fait rage entre ceux qui souhaitent une condamnation ferme, faisant jurisprudence dans ce type d'affaires, et ceux qui souhaitent la remise en liberté immédiate du policier, au nom de la présomption d’innocence.

Le combat des cagnottes

S’il y a bien un dernier élément qui illustre cette fracture, c’est le combat «cagnotte contre cagnotte», représentatif de notre époque, qui anime les réseaux sociaux depuis plus d’une semaine. En effet, quelques jours après la mort de Nahel, l’ex-soutien d’Eric Zemmour, Jean Messiha, a ouvert une cagnotte «de soutien pour la famille du policier» qui a été clôturée ce mercredi à plus de 1,6 million d’euros, avec plus de 70.000 donateurs. «Soutien pour la famille du policier de Nanterre, Florian M. qui a fait son travail et qui paie aujourd’hui le prix fort, est-il ainsi écrit sous une photo d’illustration de motards de la police nationale. Soutenez-le MASSIVEMENT et soutenez nos forces de l’ordre !». 

Deux jours après sa création, Jean Messiha voyait dans le succès de sa cagnotte un message politique. «Il fallait qu’on montre au gouvernement de quel côté était la France», a-t-il affirmé sur CNEWS. Sur Twitter, il s’est aussi félicité de la voir «dans le top 5 des plus grosses cagnottes du monde». «Je fais un rêve un peu dingue : et si on faisait franchir le million d’euros à cette cagnotte pour leur montrer de quel bois on se chauffe et de quel amour nous aimons nos forces de l'ordre ? Chiche ? Nous sommes à plus de 650.000 euros ! On continue ?», avait-il encouragé avant que son désir se mue en réalité. 

Cette collecte offre un déroutant miroir à celle ouverte par un anonyme, destinée à soutenir «la maman de Nahel», afin qu’elle «affronte les longues épreuves qui l’attendent», et qui s’élevait à plus de 455.000 euros, ce jeudi 6 juillet. Sous l’appel aux dons pour la famille du jeune homme, on lit plus simplement : «Nahel, 17 ans, est décédé aujourd’hui dans des conditions d’une extrême violence. Il laisse dernière lui une mère déchirée par la perte de son unique fils. Elle a besoin de notre soutien pour affronter les longues épreuves qui l’attendent. N’hésitez pas à laisser un petit message».

Pour la famille de Nahel, les soutiens s’organisent plus discrètement, plusieurs personnalités publiques, sportifs, humoristes, artistes, acteurs, ou influenceurs, partageant la cagnotte sur leur réseaux sociaux et invitent leurs abonnés à donner ce qu’ils peuvent, à hauteur de leurs moyens. Kylian Mbappé, Mike Maignan, Jules Koundé, Omar Sy, Jul, Rohff, Ninho, DJ Snake, Hakim Jemili, Wally Dia, et bien d’autres encore ont ainsi manifesté leur soutien, fait part de leur indignation, parfois de leur colère, et souhaité que leur visibilité permette d’apporter le soutien nécessaire à la famille de Nahel.

La justice comme seul juge de paix ? 

Finalement, cette division profonde, cette fracture sociale, qui scinde presque définitivement deux France qui se regardent droit dans les yeux, face à face, dont les valeurs s’opposent, en dit long sur l’état du pays. Après plusieurs années de climat social douloureux pour les Français, depuis l’épisode des gilets jaunes, jusqu’à la contestation de la réforme des retraites, la France se trouve à feu et à sang, prête à imploser pour chaque sujet qui la divise.

Si l’heure n’est pas encore au bilan, et que le calme n’est pas encore totalement revenu, c’est la justice qui demeure, seule, habilitée à offrir une réponse aux deux camps qui se rejettent indéfiniment la responsabilité. A ce stade, l’enquête de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) se poursuit, et de nombreux éléments sont manquants pour statuer le plus justement possible sur l’affaire.

Le témoignage du troisième passager, l’examen des messages radios des policiers, l’examen du procès-verbal, l’étude de la vidéosurveillance de la ville de Nanterre, l’analyse des éléments sonores, la recherche de nouveaux témoins... Autant d'éléments qui pourraient s'avérer déterminants pour la condamnation, ou non, du policier, dans une enquête qui pourrait donc durer encore plusieurs mois, et dont la conclusion devrait être décisive pour entamer un long processus de rapprochement entre deux France qui n’ont jamais été aussi proches de devenir irréconciliables.

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