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Coronavirus : une épidémie de censure en Chine

Depuis plusieurs jours, des milliers de comptes sur le réseau chinois WeChat ont été suspendus pour avoir partagé des «fausses rumeurs» sur le coronavirus. Depuis plusieurs jours, des milliers de comptes sur le réseau chinois WeChat ont été suspendus pour avoir partagé des «fausses rumeurs» sur le coronavirus. [NICOLAS ASFOURI / AFP]

Après une courte période de tolérance concernant les contenus relatifs au coronavirus, les autorités chinoises ont drastiquement renforcé ces derniers jours leur censure sur les réseaux sociaux. Encore plus depuis la mort vendredi 7 février du médecin chinois lanceur d'alerte Li Wenliang, qui a provoqué d'inhabituels appels à la liberté d'expression.

Le jeune docteur de 34 ans a succombé au coronavirus à l'hôpital central de Wuhan, berceau de l'épidémie, après avoir soigné plusieurs patients infectés. Il avait été l'un des premiers médecins à tirer la sonnette d'alarme en décembre sur la gravité du Covid-19 (anciennement nommé 2019-nCoV), avant d'être interpellé par la police car accusé de propager de «fausses rumeurs». Son décès a provoqué un électrochoc chez de nombreux Chinois, qui considèrent désormais Li Wenliang comme un héros national et même un martyr, face à des autorités qui ont tenté de le faire taire afin de cacher l'ampleur de l'épidémie à ses débuts.

Depuis sa mort, les commentaires critiques envers le pouvoir chinois pullulent sur les réseaux sociaux. «Que tous ces fonctionnaires qui s'engraissent avec l'argent public périssent sous la neige», a notamment écrit un internaute sur le réseau en ligne Weibo, sorte de Twitter chinois. Le hashtag «Nous demandons la liberté d'expression» a même vu le jour, et a rapidement atteint les deux millions de vues, avant d'être supprimé par la censure, à l'instar de la plupart des posts condamnant le pouvoir chinois pour son manque de transparence vis-à-vis du coronavirus et sa mauvase gestion de la crise.

Bien qu'elle soit plus visible depuis la mort de Li Wenliang, Pékin n'a pas attendu cet événement pour serrer la vis de la censure. «Il faut renforcer le contrôle sur les médias et l’internet», avait en effet déclaré dès le lundi 3 février le président chinois Xi Jinping, lors d’une réunion au sommet du Parti communiste, sifflant dès lors la fin de la petite phase de liberté d'expression dont jouissaient les médias et les internautes depuis la début de la crise. Objectif avoué du chef de l'Etat, maintenir un semblant de stabilité sociale et affaiblir la colère des citoyens.

Les géants chinois de l'internet sous une «supervision spéciale»

Après cette mise au point de Xi Jinping, le contenu des journaux officiels chinois a radicalement changé, passant sous silence l'inquiétante propagation du virus et laissant la place à des articles plus positifs et patriotiques, parlant par exemple de l'inauguration du nouvel hôpital à Wuhan, sorti de terre en dix jours seulement. Pour contrecarrer les informations alarmantes révélées par la presse indépendante, 300 reporters supplémentaires des médias d'Etat ont également à ce moment-là été envoyés dans la région de Wuhan par le Parti communiste chinois.

Deux jours plus tard, le mercredi 5 février, c'était au tour de l'internet chinois de se voir mis sous l'éteignoir. L'administration qui gère le cyberespace dans l'empire du Milieu ayant en effet publié une nouvelle directive renforçant considérablement la censure sur les réseaux sociaux. Les grands groupes de l'internet chinois, en particulier Tencent (qui possède WeChat), Baidu et ByteDance, font désormais l'objet d'une «supervision spéciale» sur les sujets relatifs à l'épidémie de coronavirus, responsable de plus de 1.000 morts en Chine, dépassant largement le bilan du Sras en 2002-2003 (774 décès dans le monde dont 349 en Chine continentale).

Peu de temps après, des plates-formes comme la populaire WeChat ont commencé à suspendre des milliers de comptes qui auraient publié «des informations sensibles ou du contenu illégal» ou encore des «fausses rumeurs». Preuve de l'ampleur de cette grande opération de censure, «fermeture de comptes WeChat» faisait partie des sujets tendances sur Weibo, avant que la page de discussion ne soit supprimée mercredi soir. Quant aux médecins, ils continuent des recevoir des «avertissements» des autorités chinoises lorsqu'ils parlent du coronavirus, car accusés de répandre des «fausses rumeurs», Pékin ne semblant pas avoir tiré les leçons de l'affaire Li Wenliang.

Des références aux «Misérables» et à «Chernobyl»

Mais le nombre de messages fustigeant le régime autoritaire chinois est si important que les censeurs ne peuvent supprimer les contenus dès qu'ils sont publiés. Ils restent donc parfois plusieurs heures en ligne, le temps d'être massivement partagés. Certains, faisant des références à la pop culture, sont particulièrement populaires. Par exemple, la chanson «Do You Hear the People Sing» («Entendez-vous le peuple chanter» en français), issue de la comédie musicale de Broadway «Les Misérables» et de son adaptation au cinéma en 2012, qui est devenue un slogan des militants pro-démocratie à Hong Kong. Des photos ou citations provenant de la série de HBO «Chernobyl» font également l'objet de milliers de partages, de nombreux Chinois trouvant des ressemblances entre la tentative des autorités soviétiques en 1986 de cacher la gravité de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl et le comportement du pouvoir chinois au sujet de l'épidémie de coronavirus.

Mais ces posts sont vite supprimés, et apparaissent alors sur de nombreuses pages internet les avertissements «Selon les lois, réglementations et politiques en vigueur, la page est introuvable», «serveur introuvable» ou «404». Un message très partagé sur WeChat tourne en dérision cette censure manifeste à grande échelle. «404+404+404+404+404=2020», se moque-t-il, comme un pied de nez aux plus hautes sphères du pouvoir chinois.

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