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Le débat sur Didier Raoult, symbole de l'opposition entre Paris et la province ?

«Ce n'est pas parce que l'on n'habite pas à l'intérieur du périphérique parisien qu'on ne fait pas de science. Ce pays est devenu Versailles au XVIIIe siècle !», a fustigé Didier Raoult dans Le Parisien le 22 mars dernier. «Ce n'est pas parce que l'on n'habite pas à l'intérieur du périphérique parisien qu'on ne fait pas de science. Ce pays est devenu Versailles au XVIIIe siècle !», a fustigé Didier Raoult dans Le Parisien le 22 mars dernier.[GERARD JULIEN / AFP]

Charlatan pour les uns, sauveur de l'humanité pour les autres, le professeur Didier Raoult ne laisse personne indifférent. Au point de réactiver un clivage que l'on pensait dépassé, entre Paris d'un côté et la province de l'autre.

En cause, la prudence dont fait preuve une partie de la communauté scientifique, notamment parisienne, vis-à-vis du traitement contre le coronavirus proposé par Didier Raoult, directeur de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, à base de chloroquine, une molécule utilisée contre le paludisme. 

Les méthodes de l'infectiologue marseillais et les limites de ses études sont pointées du doigt. «Il n'y a pour le moment aucune validation scientifique solide de l’efficacité d’un traitement antipaludique à base de chloroquine contre le coronavirus», juge l'Inserm sur son site internet, tandis que la professeure Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris, s'est dite «écœurée» sur France 2 le 23 mars dernier. «Sur la base d’un essai qui est absolument contestable sur le plan scientifique (…), on expose les gens à un faux espoir de guérison», a-t-elle dénoncé. 

De là à critiquer les «pudeurs de gazelle», pour reprendre l'expression rendue populaire par Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron en 2017, du milieu médical parisien, il n'y a qu'un pas, que Didier Raoult s'est empressé de franchir. «Ce n'est pas parce que l'on n'habite pas à l'intérieur du périphérique parisien qu'on ne fait pas de science. Ce pays est devenu Versailles au XVIIIe siècle !», a-t-il tonné dans Le Parisien le 22 mars. «Paris est complètement décalé du reste du monde», a-t-il ajouté.

Une colère qui s'est un peu apaisée depuis la publication d'un décret au Journal officiel le 26 mars, autorisant et encadrant la prescription d'hydroxychloroquine (un dérivé de la chloroquine) contre le coronavirus. A la suite de cette annonce, Didier Raoult a tenu à remercier sur son compte Twitter nouvellement créé le ministre de la Santé Olivier Véran «pour son écoute». 

OM VersuS PSG

Cette critique du «parisianisme» est exacerbée par le fait que Didier Raoult ne vient pas de n'importe quelle ville de province, mais de Marseille, dont la rivalité avec la capitale n'est plus à prouver. Et notamment en matière de football, les «Classicos» entre le PSG et l'OM étant toujours des événements à part. Rien d'étonnant donc à voir une grande figure footballistique de la cité phocéenne, en la personne d'Eric Cantona, défendre Didier Raoult face aux «Parisiens en costume cravate». «On le traite de charlatan alors qu'il fait partie des plus grands chercheurs au monde. C'est mon idole», s'est exclamé l'ancien joueur de l'OM et de Manchester United dans une vidéo sur Twitter.

Les South Winners 87, un groupe de supporters marseillais, ont également voulu montrer leur soutien au microbiologiste de 68 ans, en déployant vendredi une banderole devant son IHU, sur laquelle pouvait-on lire «Marseille et le monde avec le professeur Raoult».

Sur Twitter, les fans de l'OM n'hésitent pas non plus à encourager publiquement Didier Raoult, en reprenant un gimmick venu du ballon rond : «A jamais les premiers.» Une référence - en forme de tacle aux Parisiens - à la Ligue des champions remportée par l'OM de Basile Boli en 1993, première Coupe d'Europe glanée par un club tricolore. 

Plus qu'une opposition Paris-province ou Paris-Marseille, le professeur Raoult crée «un clivage Nord-Sud», estime Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop. Celui-ci observe en effet que l'infectiologue est soutenu par de nombreuses personnalités politiques de la région Sud (anciennent PACA), en majorité de droite, comme le président LR de la région Renaud Muselier, le maire LR de Nice Christian Estrosi, ou la députée LR des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer. 

L'élite contre le peuple

Même s'il faut aller plus loin que ce fossé géographique, juge Frédéric Dabi. «Il y a aussi un clivage 'élites-peuple'. La posture de Didier Raoult, c'est de dire : 'Je ne fais pas partie du gotha, de l'élite, de l'Inserm, du ministère de la Santé, etc.' C'est une manière de se poser contre une forme d'élitisme en matière de santé», analyse le politologue.

En effet, l'infectiologue marseillais n'a jamais caché sa détestation de l'establishment médical, incarné notamment par l'Inserm, avec lequel il a été en conflit en 2017, à l'époque où l'institut était dirigé par Yves Lévy, le mari de l'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn

Un mépris, réciproque selon certains, illustré par une anecdote racontée au Monde par le journaliste Hervé Vaudoit, auteur d'un livre sur l'IHU de Marseille. Alors que cet ancien de La Provence le questionnait sur les raisons de son look décalé, mix entre Gandalf et Panoramix, caractérisé par sa barbe et sa longue chevelure blanches, Didier Raoult lui a répondu, provocateur : «Parce que ça les fait chier», sous-entendu le milieu médical parisien. Ainsi, la nouvelle de sa mise en retrait du Conseil scientifique d'Emmanuel Macron, le 24 mars dernier, n'a pas surpris ceux qui connaissent le personnage. 

Ces débats sur le professeur Raoult, en plus de mettre en avant certaines fractures françaises, ont un effet pervers selon Frédéric Dabi. «Ces polémiques réactivent une certaine forme de complotisme, sur le mode : 'Il a le remède, il va nous sauver, mais on l'empêche de le faire'», note le directeur adjoint de l'Ifop.

Des commentaires souvent à forte connotation antisémite, visant notamment Agnès Buzyn, son mari Yves Lévy et le directeur général de la Santé Jérôme Salomon. Ces théories du complot proviennent majoritairement de forums sur le web, mais aussi de certains politiques, comme l'eurodéputé RN Gilbert Collard, la présidente d'honneur du Parti chrétien-démocrate Christine Boutin, ou encore l'UPR de François Asselineau. D'inconnu du grand public, Didier Raoult est ainsi devenu en quelques semaines un véritable révélateur de la société française. 

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