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Guerre en Ukraine : un an après, quel est l'impact des sanctions contre la Russie ?

Ursula von der Leyen et Volodymyr Zelensky à Bruxelles pour discuter de l'adhésion de l'Ukraine au sein de l'Union européenne. [Sergei SUPINSKY / AFP]

Depuis un an, les pays occidentaux, emmenés par les États-Unis et l'Union européenne, soumettent la Russie à un régime de sanctions inédit par son ampleur. Mais la guerre continue de manière toujours plus destructrice. Quel est donc l'impact réel de ces sanctions sur la Russie ?

«Nous nous efforcerons d’arriver à une démilitarisation et une dénazification de l’Ukraine», a annoncé Vladimir Poutine le jeudi 24 février 2022. C’est par ces mots tranchants, savamment choisis, et prononcés en direct de la première chaîne de télévision nationale, que le président russe a fait basculer le monde dans une nouvelle ère.

Si la guerre en Ukraine a officiellement débuté en février 2014 avec l’annexion de la Crimée par la Russie, les Européens ont plus ou moins fermé les yeux jusqu’à ce jeudi de la fin du mois de février, aux alentours de 4 heures du matin, date symbolique du lancement de l'«opération militaire spéciale» en Ukraine, synonyme d’invasion du pays et de reprise de la guerre.

En réponse à l’appel à l’aide de l’héroïque président ukrainien, Volodymyr Zelensky, l’Union européenne, sous l’impulsion de sa présidence française, choisit de ne pas abandonner l'Ukraine à son sort, et surtout de ne pas céder aux avancées ambitieuses d’un Vladimir Poutine, soucieux de retrouver son territoire d’antan et de reformer la grande Russie qui l’a vu naître.

Pourtant, la situation n’est pas simple pour les Européens. La Russie est un adversaire redoutable et sa puissance nucléaire proscrit toute intervention extérieure digne de ce nom. C’est là tout le dilemme : comment aider l’Ukraine à ne pas plier sous le poids de son meilleur ennemi, sans pour autant devenir un cobelligérant officiel et risquer de provoquer l’ire de l’envahisseur.

Le 25 février 2022, l’Union européenne se réunit en urgence à Bruxelles, et après de courtes négociations, la décision est prise d’aider l’Ukraine en s’appuyant sur deux éléments stratégiques : un soutien militaire important avec l’envoi d’armes et de munitions en support de l’armée ukrainienne, mais aussi et surtout le déploiement d’un arsenal de sanctions économiques destinées à isoler et affaiblir la Russie.

Ainsi, neuf paquets de sanctions sont mis en place, les uns après les autres, afin de toucher les secteurs financiers, de l’énergie, des transports et des médias russes, ainsi que certaines personnalités proches du régime. Un an plus tard, douze mois après le début d'une guerre qui n'entrevoit pas sa fin, retour sur les sanctions prononcées par les Occidentaux, et sur l'impact réel de ces mesures, sur la Russie, sur l'Union européenne, et sur les relations internationales. 

LES SANCTIONS ECONOMIQUES

En février 2022, au lendemain de cette nouvelle guerre, l’enjeu pour les Européens est de frapper fort leur adversaire, afin de le faire reculer sur ses positions et de maintenir ouverte la voie de la résolution diplomatique. Pour ce faire, des premières mesures restrictives sont adoptées dans le secteur financier, de l’énergie et du commerce. Le but : empêcher le fonctionnement des entreprises étatiques russes, en les privant de financement, via l’accès aux marchés de capitaux, et en interdisant l’exportation de technologies et de matériaux nécessaires pour la maintenance et la modernisation des infrastructures pétrolières et gazières, qui sont le cœur de l’activité économique russe.

«Ces mesures ont vocation à augmenter les coûts d’emprunt de la Russie et à éroder sa base industrielle. Les sanctions financières réduisent l’accès de la Russie aux marchés de capitaux les plus importants. Nous visons désormais 70% du marché bancaire russe, mais aussi les principales entreprises publiques, y compris dans le domaine de la défense», détaille ainsi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à l’issue du sommet à Bruxelles.

Enfin, les Vingt-Sept s’accordent pour sanctionner le président russe Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en gelant les avoirs qu’ils possèdent au sein de l’Union européenne. Ils suppriment également la faculté de voyager sans visa dans l’UE pour les porteurs de passeport russe. Les diplomates et les hommes d’affaires n’ont désormais plus aucun accès privilégié à l’Union européenne.

Exclusion du programme SWIFT

Si l’Europe se mobilise, l’impact réel des sanctions se fait attendre. Vladimir Poutine, lui, n’attend pas, et la guerre s’intensifie. L’Union européenne décide alors de renforcer ses sanctions, dès le 28 février 2022, en coordination avec les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni.

Malgré les réticences exprimées par plusieurs Etats membres, tous s’accordent finalement sur l’exclusion de plusieurs banques russes du système bancaire SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Ce dernier assure plusieurs tâches comme le transit des ordres de paiement entre les banques, les ordres de transferts de fonds de la clientèle des banques, ou encore les ordres d'achat et de vente de valeurs mobilières. Autrement dit, cette première grosse décision complique très fortement les transactions des banques russes et leur capacité à échanger des capitaux à l’international.

Pour compléter cette mesure, les Etats membres et leurs partenaires annoncent le gel des avoirs de la Banque centrale russe hors de Russie, ce qui restreint fortement sa capacité à puiser dans ses réserves à l’étranger pour contourner les sanctions économiques. Enfin, les Vingt-Sept souhaitent aussi lutter contre la désinformation organisée par le Kremlin. Les ministres des Affaires étrangères donnent ainsi leur accord pour l’interdiction de la diffusion au sein de l’UE des médias Russia Today et Sputnik, accusés de propager de fausses informations au sujet des agissements russes en Ukraine. 

Embargo européen sur le pétrole

Si le cœur de l’économie russe est touché, et que les mesures restrictives infusent lentement le pays, de nouvelles sanctions interviennent après ce qui s’avèrera être un tournant de la guerre, le 2 avril 2022, avec la découverte des atrocités commises par l’armée russe dans la ville de Boutcha, en banlieue nord-ouest de Kiev, où des centaines de cadavres de civils sont retrouvés. Très vite, les Vingt-Sept s’accordent pour frapper fort, et après une réunion décisive, ils décident de mettre en place un embargo à l’encontre de la Russie.

Dans un premier temps, celui-ci concerne le charbon mais aussi les ports et les routes de l’UE qui sont désormais fermés aux navires et transporteurs russes. L’exportation vers la Russie de certains biens de haute technologie est désormais strictement interdite. Dans un second temps, face à l’immobilisme de Vladimir Poutine, les Européens étendent l’embargo et décident de se couper de la majeure partie du pétrole acheté à Moscou. Cette décision s’effectuera en deux salves, dont la première prend effet le 5 décembre 2022, et la seconde le 5 février 2023.

Pour la première salve, les importations de pétrole brut par bateau sont visées, mais pas les livraisons par oléoduc, en raison de la dépendance de la Hongrie, de la Slovaquie et de la République Tchèque dont les positions géographiques enclavées nécessitent encore un approvisionnement par le pipeline russe Droujba. La Bulgarie, pour des raisons similaires, est autorisée à se procurer des hydrocarbures russes pendant encore un an et demi. Malgré ces exceptions, l’interdiction concerne plus des deux tiers des importations de pétrole russe. L’Allemagne et la Pologne ayant par la suite annoncé mettre fin à leurs importations par oléoduc, l’UE diminue de plus de 90% ses livraisons en provenance de Russie.

A partir de la deuxième salve, il est officiellement interdit aux pays de l'Union européenne d'importer de Russie des produits raffinés du pétrole (diesel, essence, mazout, kérosène...). Celle-ci sera accompagnée, comme ce fut le cas pour le pétrole brut, d'un autre mécanisme voulu par les Etats-Unis, l'UE et leurs alliés du G7, qui restreint les conditions d'exportation, notamment en imposant un prix plafond (60 dollars pour le baril de brut russe) et en obligeant les entreprises occidentales qui financent, assurent ou expédient des cargaisons russes vers d’autres pays du globe, à contrôler ces prix, sous peine d’une interdiction d’assurer ou de financer pendant 90 jours.

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Enfin, 70 personnalités russes sont également visées par les nouvelles sanctions, à commencer par les militaires responsables des massacres commis à Boutcha ou encore la famille de Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. 

L'impact des sanctions sur la Russie

Face à cet arsenal de sanctions, la Russie est dans une mauvaise posture. Les restrictions économiques commencent à produire leurs effets, et l’économie russe est frappée en son cœur, notamment dans le secteur de l’énergie. En effet, «30% de l’économie russe, ainsi que la moitié de ses recettes fiscales et 60% de ses exportations reposent intégralement sur ses hydrocarbures», précise Agathe Demarais, directrice des prévisions mondiales pour The Economist intelligence Unit, le centre de recherche du magazine The Economist.

Et les Européens l’ont bien compris. Ce qui faisait la force de financement de Vladimir Poutine s’apprête à se retourner contre lui. De plus, un certain nombre des champs pétro-gaziers russes arrivent bientôt à maturité, c’est-à-dire que leurs réserves s’épuisent. Dans ce contexte, il est primordial pour la Russie de développer de nouveaux projets pour ne pas faire plonger son économie.  

Pour ce qui est de ses réserves actuelles, la Russie est en mesure de vendre son pétrole sur d'autres marchés, notamment à des clients asiatiques, ce qui lui permet de continuer à financer sa guerre en Ukraine. Mais cet avantage est limité par le fait que la Russie est obligée d'accorder des rabais importants sur chaque baril (le pétrole russe y est vendu environ 30 dollars de moins que la moyenne mondiale).

Mais pour s’engager dans de nouveaux projets de forage, la Russie ne peut pas opérer seule. D’une part car ces projets sont extrêmement coûteux, à l’échelle de plusieurs milliards de dollars, et que la Russie ne dispose pas des moyens nécessaires, sans partenaires, pour les financer et mener sa guerre en parallèle. Et d’autre part, car la Russie ne dispose pas non plus des technologies dont elle a besoin pour construire de nouvelles infrastructures.

Ces technologies sont contrôlées par les Occidentaux, et même la Chine n’y a pas accès. Dès lors, les sanctions empêchent concrètement la Russie de renouveler son secteur énergétique. Son poids dans l’économie russe ainsi qu’à l’international devrait donc considérablement baisser avec le temps. «Selon l’agence internationale de l’énergie, 30% du pétrole et du gaz échangés dans le monde proviennent de Russie en 2022, mais cette proportion devrait chuter à 15% d’ici à 2030», explique Agathe Demarais.

Plus globalement, c'est toute l'économie russe qui est frappée de plein fouet. Si elle repose aujourd’hui beaucoup sur ses hydrocarbures, elle dépend également de ses importations. Les sanctions engendrent ainsi de nombreuses pénuries, à l’image des produits de nettoyage ou des cosmétiques, qui sont devenus des denrées rares dans les supermarchés du pays. D’autres entreprises occidentales comme H&M, Uniqlo, Nike ou encore Adidas ont également acté leur départ de Russie.

Bien qu'elle exporte des matières premières non transformées, la Russie doit aussi importer de nombreux produits qu'elle ne fabrique pas. Pour les importations de produits de haute technologie, la Russie dépend de l'Europe à plus de 45%, des Etats-Unis pour 21% et de la Chine pour seulement 11%. La Russie peut bien sûr tenter de limiter les effets des sanctions en substituant des produits nationaux à ces produits importés, comme cela a été fait dans le secteur agricole à la suite des sanctions de 2014. En revanche, pour les produits de haute technologie, c'est beaucoup plus difficile à réaliser.  

Les sanctions sur les importations de semi-conducteurs, par exemple, ont un impact direct sur les entreprises russes qui produisent de l’électroménager, des ordinateurs, des avions, des voitures ou des équipements militaires. Dans ce domaine, qui est évidemment crucial dans la guerre en Ukraine, les sanctions limitent la capacité de la Russie à maintenir la puissance de son armée, et à produire des missiles de précision par exemple. 

Enfin, il y a l'industrie aérienne, qui joue un rôle important dans un pays aussi vaste. Environ 700 des 1.100 avions civils russes sont d'origine étrangère. La Russie devra sacrifier une grande partie de sa flotte, pour trouver des pièces de rechange, afin que les avions restants puissent voler. Même les avions produits en Russie sont dépendants des technologies et du matériel des pays occidentaux. 

Et la liste est longue : perte d'accès aux marchés financiers, exclusion de la Russie des grands réseaux internationaux de recherche (comme le CERN par exemple), fuite massive des cerveaux et des élites russes... L'isolement scientifique, économique et technologique de la Russie en raison des sanctions constitue une perte majeure pour le pays à moyen terme. 

Il est également important de rappeler qu’il est particulièrement difficile d’avoir accès aux statistiques concernant l’économie de la Russie et son industrie. Si les seuls chiffres officiels présentent un chômage en dessous des 4%, plusieurs études internationales démontrent que son économie va mal. «la Russie fait face à une récession de l’ordre de 4%, le PIB sur l’année 2022 est de 4% inférieur à celui de 2021, la production industrielle inférieure de 3% et la construction de voitures, qui est un bon indicateur de la capacité de production et de la confiance des consommateurs, a chuté de 64% par rapport à l’année dernière», résume Agathe Demarais.  

Par ailleurs, certains observateurs affirment que les sanctions européennes ne sont pas très efficaces car le taux de change du rouble est très élevé. Mais cette interprétation n’est pas tout à fait exacte. Le taux de change du rouble reflète simplement le fait que la Russie présente un déséquilibre massif entre le volume élevé des exportations de pétrole et de gaz et l'effondrement parallèle des importations qui a suivi les sanctions. Cet excédent commercial n'est pas un signe de bonne santé économique, surtout pour une économie comme celle de la Russie.

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Concernant l’avenir, toutes les études de tendances économiques prédisent une poursuite de la récession en Russie. Si son économie, la 11e mondiale, ne peut s’effondrer comme certains l’avaient prédit, elle sera néanmoins victime d’une lente asphyxie qui pourrait finir par la paralyser et l’affaiblir considérablement. A noter qu’en raison de l’interdépendance des économies, notamment avec l’Europe, l’effondrement de l’économie russe ne profiterait pas aux Européens, bien au contraire.

L'impact des sanctions pour la France et l’Union européenne

La Russie est le plus grand voisin immédiat de l’Union européenne. Les deux ensembles comptent 2.200 km de frontières communes. Leurs liens économiques sont donc très étroits : la Russie est le premier fournisseur de l’Union en hydrocarbures et l’Union est son troisième partenaire commercial. De fait, en raison cette interdépendance, l’Union européenne subit aussi la contrepartie de ses propres sanctions.

«Notre agriculture, notre industrie et de nombreux secteurs économiques souffrent et vont souffrir», avait déclaré Emmanuel Macron, le mercredi 2 mars 2022, lors de son allocution télévisée consacrée à la guerre en Ukraine. Le chef de l’Etat a insisté sur les effets de l’invasion russe sur notre économie, donnant le ton pour les années à venir. Toutefois, si les sanctions économiques ont eu un réel impact sur nos importations, notamment dans le secteur de l’énergie, et de manière indirecte sur l’inflation, il est globalement à relativiser en France, au contraire d’autres pays européens beaucoup plus dépendants de la Russie.

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Emmanuel Macron a vu juste. Pour l'économie européenne, l'année 2023 ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices. Le PIB devrait au mieux stagner, au pire reculer dans la zone euro, cassant de manière nette l'effet rebond de la croissance post-Covid. La guerre en Ukraine a accentué la dégradation de l'économie en perturbant l'organisation des chaînes logistiques mondiales, et à travers les différentes pénuries qu'elle a provoquées. 

Du côté de la France, nous bénéficions d’une position économique ancienne et stratégique en Russie : 6e fournisseur (part de marché de 3,5 %), 2e pourvoyeur de flux d’IDE (investissements directs étrangers) hors paradis fiscaux, et 1er employeur étranger. Près de 500 entreprises françaises opèrent dans le pays de Vladimir Poutine, dont 35 entreprises du CAC 40 et près de 160.000 salariés travaillaient en Russie avant la guerre. Dans un rapport publié en mars 2021, le ministère de l’Economie explique que les produits pétroliers raffinés (pétrole, gaz naturel) représentent plus de 77% des importations françaises en provenance de Russie, pour un total, en 2020, de 5,7 milliards d’euros. Le pétrole représente une large part de ces importations.

Néanmoins, avec sa production d’électricité d’origine nucléaire, la France n’est pas aussi dépendante que certains de nos voisins européens à l’égard du gaz russe. Il représente 17% de notre importation (le gaz ne représentant que 20% de notre consommation d’énergie), soit beaucoup moins que l’Allemagne (64%) ou la République tchèque (100%), d’après Eurostat.

Mais par effet domino, puisque nous sommes intrinsèquement liés aux autres membres de l’Union européenne avec la libre-circulation des biens, l’augmentation du coût de l’énergie va davantage se traduire sur les autres produits : les industriels vont devoir dépenser plus pour produire et vont ainsi répercuter cette hausse sur les prix. Et le constat est sans appel : malgré un lien de causalité indirect, l’inflation a frappé durement la France, avec une moyenne de 5,2% en 2022, et notamment sur les produits alimentaires, qui ont bondi en moyenne de près de 14% en un an.

Concernant les exportations, la Russie ne représente que entre 1 et 1,5% du total des marchandises échangées. Sur ce point, l’industrie et l’agriculture françaises sont donc relativement épargnées. Selon le ministère de l’Economie, en 2020, la Russie était le 15e marché de la France, et le 7e hors UE. En tête des exportations françaises vers la Russie, on retrouvait, en 2019, les matériels de transport (24,3%), les produits chimiques, parfums et cosmétiques (21,4%), les machines industrielles et agricoles (10,7%), les produits pharmaceutiques (8%) ou encore les produits informatiques, électroniques et optiques (7,2%).

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La plupart de ces exportations sont touchées par les nouvelles sanctions infligées à la Russie. L’Union européenne a également mis fin, mi-mars, aux exportations vers la Russie des produits de luxe afin de porter un coup à l’élite russe. Sont concernés, les alcools, produits de beauté, maroquinerie, vêtements, l’électronique, les voitures ou encore les objets d’arts.

Par exemple, Renault produit en Russie 100.000 véhicules par an, et sa filiale Avtovaz, 400.000 véhicules par an. Autre exemple, Auchan exploite 231 magasins en Russie, pour un chiffre d’affaires de 3,2 milliards d’euros, soit plus de 10% de son activité globale. De son côté, la Société générale est un poids lourd du secteur bancaire russe. Elle est présente via sa filiale Rosbank, qui emploie 12.000 salariés. Toutes ces entreprises françaises sont donc affectées par les sanctions.

Concernant le reste de l’Europe, l’impact des sanctions est beaucoup plus important. L'Allemagne, la première économie européenne, est particulièrement touchée face à l'explosion du prix des matières premières et à la perte des hydrocarbures russes, carburants de son industrie. Pour y remédier, le ministre de l'Economie allemand a publié un décret ouvrant la voie au redémarrage de 15 centrales à charbon, mises en veille dans le cadre de sa politique environnementale. D’autres pays, principalement à l’Est de l’Union, comme la Hongrie, la République Tchèque, ou encore la Bulgarie, sont encore quasi exclusivement dépendants des hydrocarbures russes. Les sanctions affectent donc considérablement leurs économies.

Dans une moindre mesure que pour les hydrocarbures, la Russie est une grande exportatrice de produits agricoles. Ainsi, en réponse aux sanctions imposées par les Occidentaux, la Russie a instauré, à la mi-mars 2022, une limitation de ses exportations de céréales telles que le blé, le maïs, l’orge, le tournesol, ou encore l’huile de tournesol. Ces limitations ont conduit à une forte inflation sur ces produits.

L’augmentation des prix du blé a indirectement fait augmenter les prix de la viande, des pâtes, des produits laitiers ou encore des œufs. Mais, en France, les conséquences sont limitées, contrairement à des pays africains comme l’Egypte, par exemple, qui dépendait avant le début du conflit à 61% de la Russie et à 23% de l'Ukraine pour ses achats à l'étranger. Environ deux tiers des Egyptiens en dépendent pour se nourrir.

De son côté, la classe politique européenne a dans l'ensemble soutenu les vagues de sanctions contre l'économie russe et ses oligarques en dépit du coût d'une telle décision. Quelques voix dissonantes se sont néanmoins fait entendre sur le vieux continent, essentiellement dans les formations les plus populistes. Proche du Kremlin, le Premier ministre nationaliste hongrois, Viktor Orban, ne cesse d'appeler l'Europe à lever les sanctions, jugeant qu'elles affaiblissent la Hongrie mais pas seulement. «L'Europe souffre davantage que la Russie des restrictions imposées en réaction à la guerre en Ukraine», avait affirmé Peter Szijjarto, le ministre hongrois des Affaires étrangères.

Pourtant, contrairement aux propos des dirigeants hongrois, et malgré des effets indésirables au niveau économique, il pourrait s’agir d’un mal pour un bien pour les Européens. Avec les effets de ces sanctions, l’Europe se libère petit à petit de sa dépendance, notamment énergétique, vis-à-vis de la Russie et tente ainsi de rétablir sa souveraineté, pour proscrire tout moyen de pression économique à son endroit.

L'impact des sanctions dans les relations internationales

L’agression russe contre l’Ukraine marque un tournant dans la géopolitique mondiale. Outre la fin du rêve, déjà bien mal en point depuis l’annexion par Moscou de la Crimée en 2014, d’un vaste ensemble européen auquel la Russie serait, d’une manière ou d’une autre, associée, elle marque surtout, depuis le 24 février 2022, le retour des blocs en Europe, chacun participant à la nouvelle polarisation du monde qui s’opère depuis quelques années avec l’ascension économique chinoise. Si les nouvelles alliances ne sont pas encore formelles, elles pourraient toutefois introduire le début d’une nouvelle ère géopolitique marquée par un affrontement sino-américain sur le plan politique, économique, et peut-être militaire.

Vladimir Poutine ne s’attendait pas à une telle union. S’il prévoyait notamment une piètre résistance de son voisin, il ne pouvait pas anticiper un tel soutien, uni et organisé, de la part de l’Union européenne, mais surtout des alliés de l’OTAN, soucieux de voir la Russie s’installer aux portes stratégiques de l’alliance, qui ont matérialisé leur effort commun par la livraison d’armes et de munitions, ainsi que par la mise en place de sanctions économiques.

Face à ces sanctions, la Russie n’a d’autre choix que de se tourner vers un autre de ses voisins, bien plus puissant et avide de domination mondiale : la Chine. Et cette nouvelle alliance de devrait pas manquer d’ambitions. Non seulement la Russie a tout intérêt à réorienter son économie avec des partenaires asiatiques pour refaire sa puissance, mais ce nouveau bloc eurasiatique se construit également sur des valeurs communes et un ressentiment anti-occidental et anti-américain, qui est en plus partagé par de nombreux pays d’Afrique et d’Asie, avec la force du nombre, puisqu’ils représentent une majorité de la population mondiale.

Dans le camp adverse, si les Etats-Unis affichent un soutien sans faille à l’Ukraine, leur président Joe Biden, rompu aux mécaniques et aux enjeux de la guerre froide, manie parfaitement sa politique d’opposition avec la Russie, dans l’optique de contenir l’avancée chinoise et de conserver sa domination mondiale, notamment à travers l’hégémonie du dollar dans les échanges économiques internationaux, grand moyen de pression sur de nombreux pays. L’objectif est simple : le renforcement d’un bloc occidental, dans lequel la demande officielle d’intégration à l’Union européenne réclamée par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, viendrait définitivement prouver au monde une opposition frontale avec la Russie et ses alliés.

«Nous sommes à un moment d'émancipation vis-à-vis des Etats-Unis, de l’Occident, et de fragmentation du paysage politique mondial», estime Agathe Demarais. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a d’ailleurs confirmé lors d’un voyage en Chine que le monde était à «une étape très sérieuse dans l'histoire des relations internationales» qui débouchera sur une «situation internationale nettement plus claire, un ordre mondial multipolaire».

Et pour cause, en raison du soutien à l’Ukraine d’une part, et d’une lassitude à l’égard de la domination occidentale d’autre part, plusieurs pays tentent avec leurs propres moyens de construire des alternatives aux circuits politiques, diplomatiques et économiques qui régissent actuellement les relations internationales. Ainsi, la Chine tente notamment de développer son marché de monnaies digitales, l’Inde travaille sur un mécanisme d’échange roupie-rouble pour acheter du pétrole, l’Arabie saoudite discute avec Pékin pour instaurer un canal de paiement en yuan pour le pétrole, et le Brésil et l’Argentine ont remis sur la table le projet d’une monnaie commune pour se sortir de la dépendance du dollar.

Par ailleurs, la Chine a également créé le CIPS, une version plus petite du SWIFT, qui connecte près d’un millier de banques dans le monde et dont l’objectif est de grossir pour concurrencer son pendant américain. Avec l’essor économique de la Chine, qui devrait devenir la première puissance économique mondiale dans les années à venir, on peut se demander si elle ne sera pas en mesure, à terme, d’imposer son utilisation.

Finalement, ces sanctions économiques sont le point de départ de la consolidation de ces nouvelles alliances. L’évolution du conflit, et donc l’évolution des sanctions pourrait donc jouer un rôle majeur dans le développement de cette nouvelle polarisation mondiale, et dans les futures relations internationales de l’Union européenne et de la France avec les autres pays.

Jusqu'où LES SANCTIONS peuvent-elles aller ?

Les sanctions économiques imposées par le bloc occidental composé de l’Union européenne et de ses alliés de l’OTAN, emmené par les Etats-Unis, ont donc des effets qui s’infusent lentement dans l’économie russe. Mais après ces neuf paquets de sanctions, le conflit ne semble pas s’arrêter, avec des bombardements qui continuent en Ukraine. La question des limites de ce modèle se pose alors, et il est possible de se demander si de nouvelles sanctions sont encore envisageables à ce stade. 

Après la mise en place de l’embargo sur les hydrocarbures russes qui a pris effet en février 2023, les Européens ont placé tous leurs pions dans la bataille pour mettre à mal la principale source de financement de Vladimir Poutine. S’il s’agit évidemment d’un excellent outil dont disposent les Européens, le risque de s’engager de manière plus frontale dans le conflit ouvrirait la possibilité pour la Russie de considérer officiellement l’Europe comme cobélligérante, et d’organiser une réponse en conséquence. Dès lors, ce serait le point de départ d’une guerre totale, et potentiellement d'une guerre nucléaire.

Ainsi, malgré des livraisons d’armes toujours plus offensives en Ukraine, il semble peu probable que les dirigeants européens adoptent cette stratégie, et ces derniers voient leur pouvoir d’action désormais limité. Toutefois, ce n’est pas le cas des Etats-Unis, qui disposent quant à eux d'options supplémentaires, notamment en raison de la puissance de leur économie.

Selon Agathe Demarais, la première option pour les Etats-Unis serait de «couper toutes les banques russes du réseau SWIFT». Comme cela avait été fait pour l’Iran en 2012, cela plongerait la Russie dans un isolement financier total. La deuxième option serait «d’interdire à la Russie d’utiliser le dollar américain». La Russie reste un exportateur de pétrole et de gaz en dehors de l’Europe et de nombreuses transactions sont payées en dollar. Enfin, il reste l’arme la plus puissante des Etats-Unis, celle des sanctions secondaires.

Concrètement, placer un pays sous sanctions secondaires revient à «pousser toutes les entreprises du monde, non seulement américaines ou occidentales, mais également par exemple indiennes ou chinoises, à devoir faire un choix entre le marché américain et le dollar américain, avec la Russie. Dans ce cas, il y a fort à parier qu’un certain nombre d’entreprises choisirait de ne plus toucher à l’économie russe et donc aux hydrocarbures russes, ce qui poserait un gros problème au Kremlin», détaille Agathe Demarais.

Il existe donc encore des dispositifs dans les mains des Occidentaux pour mettre la pression sur Vladimir Poutine. Néanmoins, ce principe de sanction économique présente également un défaut majeur. Si son objectif premier est de pousser le régime sanctionné à changer d’attitude, et en l’occurrence à stopper l’invasion en Ukraine, lorsque ces sanctions atteignent un certain niveau, elles entraînent des changements structurels dans les économies des pays sanctionnés, qui perdurent parfois même après la levée de ces sanctions.

Dans ce cas, l’effet initial de dissuasion recherché n’existe plus. Les pays sanctionnés anticipent le fait que de très nombreuses entreprises vont avoir peur du gendarme américain et se détourner de leur marché. L’effet de contrainte et de pression est alors annulé. Il s’agit donc d’une équation complexe pour les Occidentaux, qui ne doivent pas perdre de vue l’enjeu initial, ni la manière privilégiée pour résoudre des conflits internationaux, qui a toujours été et qui restera la diplomatie.

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